Le journal d’une femme de chambre (Octave Mirbeau)

Retour à la littérature française avec « Le journal d’une femme de chambre » roman d’Octave Mirbeau publié en 1900.

Rendu célèbre par les multiples adaptations théâtrales et par le film de Luis Buñuel en 1964, « Le journal d’une femme de chambre » raconte par le biais d’un journal intime de Célestine une jeune employée de maison, la vie de domestiques français du XIX ième siècle.

Placée dans une maison de la bourgeoisie normande chez les Lanlaire, Célestine raconte avec beaucoup de franchise et de lucidité son quotidien mais fait également appel à ses souvenirs pour décrire sa vie auprès de ses anciens maitres pour l’essentiel parisiens.

On découvre l’envers du décor des Lanlaire, avec une maitresse dominatrice, acariâtre et avare au possible qui impose une véritable dictature à son mari et aux employés de la maison, qui outre Célestine, sont la cuisinière Marianne et le jardinier Joseph.

Fière et indépendante, Célestine regrette la vie parisienne et lutte de toutes ses forces pour ne pas trop exprimer ouvertement ses pensées profondes à Madame Lanlaire, qu’elle exècre au possible.

Par comparaison, Monsieur Lanlaire apparait comme un homme de forte stature, mais plutôt timide et faible, préférant la fuite dans de longues marches solitaires dans les campagnes plutôt que de tenir tête à sa femme.

L’énigmatique Joseph fascine d’emblée Célestine, par la terrible impression de force physique du jardinier mais également par son coté secret et potentiellement dangereux.

Prise dans ce quotidien difficile, Célestine écrit beaucoup mais se remémore également ses anciennes places parisiennes, chez des maitres beaucoup plus chics que les Lanlaire.

On découvre le quotidien des maisons bourgeoises, ou les maitres derrière les apparences de bonne tenue en société, se comportent souvent de manière mesquines et tyranniques pour leurs employés.

Habile, Célestine pénètre l’intimité des femmes et s’arrange pour devenir rapidement leur confidente.

Elle décrit la peur de vieillir qui habite les femmes d’âge mur, leurs artifices et leurs mensonges pour se rassurer, mais également leur vie dissolue à courir des amants parfois beaucoup plus jeunes qu’elles et dont-elles n’hésitent pas à payer pour conserver leurs services.

Les maris sont sans doute moins durs que les femmes, mais se sentent presque tous le droit de coucher avec leurs femmes de chambre, aussi est il très difficile de résister aux avances des maitres, capables également de viol pour les plus violents.

Et même les soi disant philosophes comme Le Bourget, aussi brillants soient ils dans leurs écrits, n’échappent  pas à la médiocrité confondante de leur vie intime.

Les anecdotes affluent donc, souvent dures et cruelles, parfois drôles.

Personnage sensible, entier et parfois rebelle, Célestine finit par perdre immanquablement son sang froid et à se brouiller avec ses maitres, même lorsque ceci sont particulièrement généreux et agréables.

Les retours au sein des maisons de placement bénéficient d’une large exposition.

Célestine les compare à l’antichambre de la prostitution, avec une sorte de marché aux esclaves ou les femmes, jeunes, fragiles et naïves venant souvent de province, sont exploitées par des maitres se sentant supérieurs de par leur position sociale plus aisée.

La concurrence est également féroce entre les domestiques, qui luttent pour obtenir les meilleurs places et les faveurs des maitres.

Deux mondes cohabitent donc sans réellement se toucher, celui des maitres et celui plus sous terrain des domestiques.

De retour dans le présent, Célestine est bouleversée par le meurtre d’une petite fille dans la campagne normande.

Elle suspecte Joseph, dont le comportement étrange et les réponses évasives l’intriguent mais ne parviendra jamais à connaitre le fin mot de l’histoire.

Finalement Célestine devra se résigner à voir le crime impuni mais cette affaire ne fera qu’accroitre son attraction pour le jardinier.

Cette attraction sera réciproque puisque Joseph lui proposera de l’accompagner à Cherbourg pour tenir avec lui un bar à marins.

Malgré quelques réticences devant la personnalité trouble de Joseph et la peur de devenir une prostituée à marins, Célestine finit par succomber au charme viril de cet homme mystérieux et accepte de le suivre dans ses rêves d’émancipation.

Ce rêve se réalisera finalement après que les Lanlaire ait été mystérieusement punis de leur avarice en voyant la majeure partie de leurs bien dérobés une nuit.

En conclusion, « Le journal d’une femme de chambre » est une œuvre délicieusement corrosive et d’une force cinglante pour les bienséances de son époque.

En donnant la parole à une sans grande, représentant toute une classe invisible, oubliée, vicieusement coincées entre les classes populaires dont elle est issue et celles de la bourgeoisie dont elle ne peut que saliver devant l’aisance matérielle, Mirbeau accomplit un tour de force littéraire d’une grande utilité sociale.

Difficile en effet de ne pas être touché par la personnalité attachante de cette femme honnête, indépendante, sensible et courageuse qui dévoile en quelques pages des états d’âmes touchants.

Dans cet ouvrage majeur, Mirbeau égratigne donc une large part de la société de son époque, que ce soit l’hypocrisie des bourgeois ou la stupidité des domestiques qui la servent.

Et même la religion en prend pour son grade, dans l’épisode abjecte du refuge tenu par des religieuses exploitant dans des travaux sous payés les pauvres femmes en détresse et fermant les yeux par intérêt sur leurs pratiques homosexuelles nocturnes.

« Le journal d’une femme de chambre » ou un grand classique de la littérature engagée à recommander à tout un chacun.

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