Un quinze août à Paris (Céline Curiol)


Sorti en 2014, « Un quinze août à Paris » est un récit autobiographique qu’on imagine cathartique d’une jeune femme ayant souffert en 2009 d’une dépression de plusieurs mois avant de refaire peu à peu surface.
De manière assez étonnante, Curiol place rapidement son témoignage sous l’angle d’une étude ultra référencée se voulant analytique pour décortiquer les mécanismes profonds d’une maladie intérieure encore mal comprise.
Frappée en plein mois d’août 2009, l’auteur relate tout d’abord une phase de déni visant à minimiser le mal et à vouloir s’en sortir seule, sans doute vis-à-vis de la pression sociale que provoque l’annonce de ce type de maladie.
Mais une succession de douleurs somatiques inhabituelles (mal à la poitrine, aux intestins, palpitations cardiaques) puis réactions parfois violentes comme vouloir descendre d’une voiture en marche, finissent par l’amener à voir la réalité en face et à consulter un psychiatre.
Le symptôme principal devient une immense lassitude, une pesanteur du corps et une perte d’intérêt général pour les choses du quotidien.
En proie à des profonds mécanismes internes, le déprimé sort progressivement de la vie et s’isole dans son mal être.
Ses conversations décousues et son comportement asocial finissent généralement par dérouter ses proches, qui le fuient assez rapidement de peur d’être eux même contaminés par quelque chose qui échappe à leur entendement.
Curiol dit pourtant avoir eu à cet instant de sa vie un besoin impérieux d’une aide venant de l’extérieur, une présence, une parole constituant un appui pour tenter de s’extirper de ce bourbier mental.
Mais livrée à elle-même dans un Paris déserté (y compris par les médecins !) au mois d’aout, elle s’enfonce seule dans son malaise enchainant les crises de paniques et les fantasmes de suicide pour y mettre brutalement un terme.
Après la solitude, le chapitre suivant est consacré au suicide, avec de multiples références comme « Martin Eden » de Jack London ou « Melancholia » de Lars Von Trier, « Le mythe de Sisyphe, » d’Albert Camus ou d’autres plus scientifiques.
Curiol conteste le libre arbitre d’un sujet à se supprimer et préfère considérer un sujet dans un état de déséquilibre émotionnel, psychique, chimique tel que la décision qu’il prend n’est en rien le fruit de sa raison.
Est cité l’exemple de Edwin E Aldrin, l’un des premiers cosmonautes américains à aller sur la lune en 1969, qui sombra après son retour sur terre dans la dépression faute d’avoir trouvé un accomplissement à sa vie et se suicida.
La dépression semble toucher de manière plus prononcée les personnalités artistiques, comme ci le génie créateur devait s’accompagner d’une face sombre et maudite, constitué par certains comme un moteur (Ingmar Bergman) avant de devenir parfois un fardeau impossible à porter qui finit par anéantir son propriétaire.
Une fois avoir pris conscience de la réalité et la gravité de son mal, la route vers les anxiolytiques semblait inéluctable.
Ceux-ci aidèrent à trouver le sommeil, à apaiser le corps mais Curiol tout en reprenant des arguments scientifiques de Julia Kristeva, souligne leur probable insuffisance à soigner le mal à la racine, comme si la question ne résidait que dans un simple déséquilibre d’échanges chimiques.
Après avoir relaté un épisode désagréable ou son médecin ayant oublié avant de partir en vacance de renouveler sa prescriptions, l’auteur erre dans les hôpitaux publics du XVIII ième arrondissement essuyant refus sur refus et suspicions des médecins la considérant comme une toxicomane en manque, Curiol relate ses périodes d’arrêts de prise de médicaments, les effets secondaires qui en résultent (tremblements, pleurs convulsifs) avant finalement d’arriver en accord avec son médecin d’arrêter leur prise six mois après.
Par la suite, Curiol décrit le sentiment de perte de lien avec son corps et suppose que le rapport hiérarchique entre esprit et corps peut être revu, certaines mécanismes émotionnels pouvant s’enclencher directement et de manière automatique sans contrôle possible de l’esprit.
Cette approche, intéressante pourrait expliquer l’impossibilité pour un sujet de réduire la dépression par la seule force de sa volonté, puisqu’elle agirait sur des mécanismes plus enfouis ayant prises directement sur le corps, qui de ce fait se désolidarise de l’esprit.
Le sentiment d’échec personnel, de perte d’envie, de la notion du temps de sa continuité et donc du lien vers l’avenir, du repli continuel vers le passé provoquant une activité cérébrale importante mais parfaitement inutile et néfaste, puisque aboutissant à l’immobilité, sont ensuite décryptés.
Le déprimé parait également profondément handicapé par son incapacité à user de son imagination, faculté importante pour supporter un réel anonyme souvent décevant et anxiogène.
Mais Curiol parviendra peu à peu à remonter la pente, relatant l’effet bénéfique d’un voyage promotionnel au Costa Rica, ou à la faveur d’un bain de mer imprévu, elle sentit enfin son corps se réveiller sous l’action bénéfique du soleil et de la mer.
Le retour ses sensations s’accompagnera de celui du désir, indispensable pour entreprendre quelque chose, désir qui sera entretenu par le retour d’habitudes : marcher, travailler, routines aux vertus constructives et stabilisatrices sur l’esprit humain.
En guise de conclusion, Curiol voit dans le symptôme dépressif le résultat d’une perte de croyance en soi, ce qui explique à mon sens pourquoi les adeptes d’une religion sont généralement mieux protégés que les athées livrés à un libre arbitre parfois embarrassant car source de doutes et de fissurations.
La faculté à se raccrocher à des croyances fortes, ce qu’on appelle communément des « raisons de vivre » permettant d’envisager un futur et de mettre en œuvre des forces propulsives pour l’atteindre ou tout du moins se maintenir à flot, semble pour l’auteur un critère déterminant pour ne pas chuter au moindre événement déstabilisateur (décès d‘un proche, perte d’emploi, déménagement…)
Puis le livre conclut par un message d’espoir mesuré, la perspective d’une guérison pas à pas, le retour de la joie et de la vie en société lors de fêtes de fin d’années 2009.
En conclusion, « Un quinze août à Paris » m’a surpris dans la mesure ou l’auteur a cherché à une analyse méthodique des mécanismes de la dépression en effectuant un travail de recherche quasi universitaire plutôt qu’à privilégier un approche centrée sur les émotions.
On peut y voir le signe d’un esprit rationnel scientifique au détriment d’une approche plus littéraire qui m’aurait je le pense davantage séduit.
Malgré cet écueil principal, « Un quinze août à Paris » demeure instructif, relatant au travers d’une expérience personnelle, le processus infernal de déni initial du mal en le raccrochant à des causes physiques externes, la désoçabilisation du malade rejeté progressivement par ses proches qu’il embarrasse par ses tourments irrationnels, l’impression de se consumer dans l’intérieur dans une angoisse paralysante détruisant toute volonté d’entreprendre une action de survie, la perte de buts, de raisons de vivre pouvant conduire à l’acte ultime et désespéré du suicide pour mettre un terme à des souffrances intolérables.
Fort heureusement, Céline Curiol évoque des pistes de sortie comme se raccrocher à des croyances suffisamment fortes pour stimuler l’imagination et le désir d’accéder à un futur mais également conserver des habitudes garantes d’un certain équilibre, quitte à les modifier de temps à autre pour créer une nouvelle étincelle.
Le témoignage est courageux et l’optimisme modéré, comme le comprend devant la dangerosité du mal.

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