Ethique à Nicomaque (Aristote)

 



J’ai longtemps nourri un complexe à l’égard des ouvrages philosophiques.

Je pensais que je n’avais pas la formation pour les comprendre et qu’ils étaient de ce fait hors de ma portée.

Alors j’y suis allé pas à pas, commençant par lire des ouvrages résumant et commentant les œuvres majeures, pour me familiariser avec ce monde et jauger mes capacités avant d’envisager un choc frontal.

Ce travail préliminaire ayant été fait avec les principaux courants de philosophie grecque, je me suis donc attaqué à l'« Éthique à Nicomaque » d’Aristote.

En commençant ce livre on se sent un peu dans la peau d’un alpiniste amateur s’entraînant à Fontainebleau le week-end qui décide un jour de s’attaquer au Mont Blanc ou à un des sommets de l’Himalaya tant cet ouvrage fait figure de référence historique incontournable.

On se demande si on aura assez de souffle, si ses forces ne nous trahiront pas à la première montée et si on ne dévissera pas avant d’arriver au sommet.

Je n’ai donc pas la prétention de brosser une analyse parfaite d’un livre de ce niveau, mais simplement d’exprimer mes impressions par rapport à cette confrontation, sachant qu’à mes yeux une œuvre pareille ne peut s’assimiler d’une traite et nécessite d’être lue et relue plusieurs fois dans une vie pour en saisir toute les nuances et les richesses.

Dans l’« Éthique à Nicomaque », Aristote s’interroge sur le sens de la vie.

L’ouvrage contient 11 livres (ou parties) .

Ce qui frappe c’est la remarquable construction logique de cette entreprise.

Le style d’Aristote n’est certes pas des plus plaisants à lire, il est plutôt froid et professoral surtout quand on le compare à certaines envolées littéraires de Platon.

La raison peut être la suivante : les seuls ouvrages d’Aristote qui  nous sont parvenus sont des notes des cours qu’il dispensait dans son académie le Lycée.

Pourtant Cicéron parle de « fleuve d’or» en évoquant son écriture ce qui laisse à penser que la partie la plus littéraire de son œuvre a été perdue sans doute à jamais.

Toujours est il que l’« Éthique à Nicomaque » se présente comme une gigantesque machine logique, cohérente et d’une puissance inouïe.

Aristote commence par définir ce qui est pour lui le Bien suprême, c’est à dire le but ultime de la vie.

Il démontre que c’est le Bonheur.

Pour lui le moyen d’arriver à atteindre le bonheur est la pratique de ou plutôt des vertus.

Cependant il nuance ce point de vue en ajoutant que l’accession au bonheur sera facilitée si on dispose d’une niveau suffisant de santé, de richesse et de fortune.

Et si par malheur il ne dispose pas de ces biens l’homme vertueux ne sera cependant pas abattu et tirera le meilleur de ce que la Nature lui a donnée.

C’est par exemple une différence avec le Stoïcisme qui lui prône une indifférence totale à ces paramètres indépendants de nous.

Aristote distingue les vertus morales et les vertus intellectuelles.

Dans les vertus morales il range et analyse le courage, la tempérance, la générosité, la magnificence, la magnanimité, l’honneur, l’ambition, la douceur, l’amabilité, la franchise, l’enjouement, la pudeur.

Rapidement se dessine la notion d’équilibre à atteindre pour chaque homme entre l’excès de ou le défaut de vertu.

Ainsi si le courage est une vertu son défaut (la lâcheté) ou son excès (la témérité) peuvent en faire un vice.

L’équilibre est donc ce qu’il faut chercher à atteindre.

Cet équilibre dépend de la nature de chaque homme mais peut également être atteint par l’éducation ou l’enseignement.

La justice considérée comme une vertu morale particulière fait l’objet d’un livre entier, le livre V.

Son analyse est d’une acuité et d’une finesse exceptionnelle, surtout quand on pense que c’est un homme du IViéme avant JC qui a écrit cela.

Les notions d’équité dans son principe et de proportionnalité dans son action correctrice apparaissent comme cruciales.

Les injustices commises par passion, ignorance ou folie sont considérées avec plus d’indulgence que celles commises après une décision réfléchie.

Les vertus intellectuelles sont analysées dans le livre VI, on y dénombre la science, l’intelligence, le savoir faire technique, la sagesse, la sagacité, .

Pour Aristote la sagacité permet d’exercer les vertus morales tandis que la sagesse permet d’exercer les vertus intellectuelles.

Le livre VIII traite du plaisir, notion fondamentale qui sera source de biens des débats avec les Épicuriens.

Aristote ne place pas le plaisir comme souverain bien mais comme un bien auxiliaire venant parachever une action juste.

Chose étonnante, l’amitié fait l’objet d’un livre complet, preuve qu’elle est très importante pour le philosophe.

J’ai adoré ce  livre dans lequel Aristote se fait plus humain, délaissant la froideur de son implacable machine logique pour s’intéresser à un sujet plus chaleureux.

Pour Aristote, on est toujours amis par agrément, mais le but de cet agrément peut varier.

Ainsi les amitiés par intérêt ou plaisir ont souvent une durée limitée, celles construites autour d’un agrément vertueux  durent plus longtemps car elles ne reposent pas sur un paramètre sujet à variation.

Aristote insiste sur la difficulté de trouver des amis vertueux et sur le fait que leur nombre ne peut être que limité.

Il dit aussi qu’une vraie amitié est rare, met du temps à s’acquérir et doit s’entretenir par des actes.

Lorsqu’un ami change, (basculant dans le vice par exemple) et qu’on ne trouve plus d’agrément à ses cotés, il vaut mieux rompre pour le philosophe mais conserver toujours un respect pour cette personne du fait des anciennes relations.

L’amitié vertueuse chez les puissants peut difficilement exister, car elle se nourrit d’intérêts.

Aristote traite l’amour comme un cas particulier de l’amitié.

On construit des familles pour se reproduire mais aussi pour se ménager tout ce qui est utile à l’existence, l’homme et la femme jouant des rôles complémentaires.

Mais il ne s’y attarde pas plus que cela, on sent bien que cette question n’est pas très importante pour lui …et je pense qu’il a raison.

Ce qui me donne l’occasion de fustiger la place déraisonnable qu’a prise l’amour dans nos sociétés.

Non aimer n’est pas plus fort que tout comme le chantait la philosophe australienne Tina Arena.

Le dernier livre est la conclusion de cette démonstration magistrale.

Elle constitue à mes yeux l’apothéose, la révélation ultime.

Le Bonheur sera atteint par l’exercice des vertus.

La sagacité permettra d’exercer les vertus morales.

Cet exercice permettra d’atteindre le bonheur mais un bonheur de niveau humain donc secondaire.

En effet la sagesse  permettra d’exercer les vertus intellectuelles qui elles sont d’origine divine et donc supérieures aux vertus humaines.

C’est la qu’Aristote prend donc toute sa force à mes yeux.

Pour Aristote la particularité de l’homme par rapport aux animaux est sa capacité d’intelligence.

Celle ci le distingue des animaux et le rapproche des Dieux.

En exerçant sans cesse ce dont ce pour quoi il a été crée l’homme accède donc à un niveau supérieur le rapprochant du divin.

Le résultat est de cette pratique sera le bonheur accompagné de plaisir.

La fin de l’ouvrage est passionnante.

Aristote réfléchit à la manière d’amener le plus grand nombre sur la voie de la vertu.

Le moyen des lois lui apparaît tout d’abord le plus radical mais il constate que les cités ne se préoccupent pas de ces questions.

Il réfute également le droit légitime aux politiciens et aux sophistes  d’enseigner la vertu.

Il reste donc le moyen individuel et privé passant par les habitudes et donc par l’éducation.

Cette éducation permettant de façonner les individus pour les rendre réceptifs à la vertu.

Mais comment trouver la meilleure éducation à dispenser  ? 

Une solution peut être d’étudier toutes les lois et les constitutions existantes pour avec son expérience personnelle en tirer le meilleur.

L’ouvrage se termine ainsi en posant l’introduction aux « Politiques » l’autre grand ouvrage du Maître Grec.

En conclusion « l’Éthique à Nicomaque » est un livre qui peut paraître tout d’abord plutôt ardu et qui demande une attention soutenue pour ne pas se perdre en route.

L’énumération un peu scolaire des vertus et des vices peut paraître parfois ennuyeuse mais lorsqu’on arrive à la dernière partie, on comprend toute la cohérence et la puissance de l’ensemble.

On se trouve donc emporté comme un morceau de bois par un puissant fleuve de montagne , avec une seule envie : tout relire pour comprendre toutes les innombrables finesses et subtilités.

Le surnom d’Aristote est « le bâtisseur » , je trouve que cela lui va fort bien tant il a posé les bases de réflexions pour les millénaires à venir.

Certes l’ampleur des disciplines couvertes par son œuvre contribue fortement à sa grandeur, mais autant que  la quantité c’est la qualité des raisonnements qui est étourdissante.

Je partage tout à fait la conclusion du livre, à savoir un goût pour l’activité intellectuelle qui nous élève mais même sans partager ce point de vue  l’« Éthique à Nicomaque » constitue un ouvrage incontournable pour qui se pose des questions de fond sur la nature des choses traitant à la vie humaine.

En ces temps un peu troubles ou le monde  vacille faute d’éthique, j’avoue que la lecture de  l’« Éthique à Nicomaque » représente une lecture des plus nécessaires.

Je pense tout à fait sincèrement que les théories d’un génie comme Aristote seraient capable de changer le monde en le rendant meilleur mais comme lui même le dit si modestement « les arguments sont insuffisants pour changer le plus grand nombre ».

Restent l’éducation et les habitudes…encore faut il avoir la volonté de les mettre en application.

Pour ma part entre recherche d’équilibre et activités intellectuelles j’essaie de m’y atteler en suivant à mon modeste niveau les traces du Maître.

Et vous, quand commencez vous ?
Éthiquement votre

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