Mémoires d'Hadrien (Marguerite Yourcenar)

 




« Mémoires d’Hadrien » sont les mémoires romancées de l’empereur romain qui régna de 117 à 138 après JC.

Marguerite Yourcenar a mis près de 25 ans à écrire ce livre terriblement ambitieux, s’y reprenant à plusieurs fois, trouvant la tache impossible, brûlant ses manuscrits, renonçant puis reprenant courage tant la difficulté de se mettre à la place d’un homme séparé de vous par 18 siècles semblait insurmontable.

L’écrivaine s’est ainsi attelée à  un titanesque travail de recherches historiques à partir des sources antiques afin de rendre crédible le récit.

Le résultat est un livre qui n’est ni rigoureusement historique, ni proprement philosophique, ni même poétique bien qu’il navigue souvent aux confins de ces domaines.

Yourcenar se met à la place d’Hadrien à la fin de sa vie, malade, écrivant une lettre au jeune  Marc Aurèle qu’il pressent comme un des hommes les plus aptes à continuer son œuvre.

Cette lettre se transforme en bilan de son existence, en réflexions d’ordre générales sur la politique, la vie, la mort, l’amour, l’art , la philosophie.

L’ouvrage est extrêmement dense, profond, écrit dans une langue riche.

Au fur et à mesure du récit on découvre la vie et l’œuvre de l’empereur.

Hadrien est adopté par son oncle Trajan avec qui il partage une origine Ibérique.

Il le suivra dans ses conquêtes militaires.

Trajan fut sans doute l’un des empereurs les plus renommés.

Il étendit l’empire jusqu’à ses dimensions maximales, conquérant la Dacie.

Le butin de ses nombreuses conquêtes apporta la prospérité à Rome.

Soldat avant tout, c’était un homme simple et juste bien qu’un peu frustre.

Son règne fut profitable à la grandeur à Rome.

Aux coté de Trajan, Hadrien acquiert une expérience militaire importante.

Il avoue aimer la rudesse des conditions de vie des camps, la solidarité entre soldats et ne pas être incommodé par la vie en Germanie que beaucoup de Romains ne supportent pas en raison de la dureté des hivers.

Mais la véritable passion d’Hadrien demeure la littérature.

Éduqué par des rhéteurs Grecs, il séjourne longuement à Athènes qui restera sa ville favorite.

Bien qu’ayant étudié les philosophes Grecs, Hadrien n’adhère pas à leurs doctrines.

Les Stoïciens sont méprisés , les Cyniques chassés seuls Épicure et Platon semblent bénéficier d’un timide crédit.

Il leur préfère un mode de vie basé sur la connaissance de soi d’après son expérience personnelle et l’étude des astres.

Ce  mysticisme se traduira par un pèlerinage à Eleusis ou il fut initié aux Mystères par les prêtresse mais également par une grande ouverture par rapport aux autres cultures et croyances.

Hadrien aime donc passionnément la littérature, le théâtre, la poésie, l’astrologie et l’art Grec.

Le roman insistera donc sur ce double aspect de l’empereur, amoureux des lettres mais également homme d’action plus enclin à la vie spartiate des camps qu’au faste et aux honneurs des cours impériales.

Nommé magistrat à Rome Hadrien y apprend l’exercice de la justice et le sens de la mesure.

Lorsque Trajan vieillissant se lance dans une expédition contre les Parthes avec le rêve fou d’égaler Alexandre le Grand en conquérant l’Inde, Hadrien l’accompagne.

L’échec de cette expédition est un des passages qui m’a le plus touché.

Trajan qui n’a vécu que pour la guerre et la conquête, s’aperçoit brutalement que sa vie s’achève et que son corps ne peut suivre sa volonté.

Malade  cet homme dur et fier s’écroule brutalement et  pleure devant le Golfe Persique avant de mourir lors de son rapatriement à Rome.

Le règne militaire d’Hadrien sera présenté comme purement défensif.

Il réfléchit à pacifier son empire, consolide ses frontières notamment en créant le fameux mur au Nord de la Grande Bretagne, mur de 130 km de long destiné à contenir les invasions des tribus Calédoniennes.

Hadrien  use de la diplomatie pour conclure des alliances avec les Germains, les Arabes ou les Parthes.

Il tente de contenir les troubles des communautés juives et grecques d’Alexandrie ou de Jérusalem.

La paix réinstallée, le commerce fleurit et le niveau de vie s’accroît.

Fasciné par l’art Grec il entreprend de grandes constructions.

Le Panthéon romain en est la plus célèbre.

Mais la villa d’Hadrien et son mausolée le seront aussi.

Il réhabilite également la ville d’Athènes avec pour but de lui faire retrouver sa position dominante d’antan.

Sur le plan administratif, il fait une réforme agricole, améliore la condition des femmes et des esclaves.

Contrairement aux livres de Max Gallo, il n’est pas fait mention de la tradition des massacres de Chrétiens qu’Hadrien entretiendra.

Marguerite Yourcenar nous présente donc un empereur humaniste et pacifique, détournant la tête à la vue du sang et se morfondant après avoir éborgné un serviteur dans un accès de colère.

Le portrait est un peu trop idyllique à mes yeux et certaines choses sonnent à mon sens quelques peu étranges ou anachroniques notamment quand il s’interroge sur la fin possible de l’esclavage.

Je pense qu’un homme de l’antiquité et encore plus un empereur romain ne pouvait avoir ce genre de sensibilités.

Même fin lettré et humaniste, il devait être habitué à un niveau de violence inconcevable pour un homme ou une femme du XX i éme siècle.

La partie la plus romantique de l’œuvre concerne la passion amoureuse entre Hadrien et Antinoüs, jeune éphèbe de Bithynie.

Antinoüs sera l’unique amour de la vie d’Hadrien, il l’accompagnera dans ses chasses, dans ses voyages comme un lévrier fin et racé.

Son suicide par noyade en Égypte transpercera de douleur l’Empereur.

Hadrien décidera de le déifier, lui fera construire un tombeau dont l’emplacement tenu secret n’a jamais été retrouvé,  il créera une ville à son nom en Égypte et demandera à tous les sculpteurs de produire des statues à son effigie.

Curieusement la mort prématurée de cet adolescent marquera les esprits et pendant des siècles le personnage d’Antinoüs entrera au Panthéon des divinités de toutes les provinces de l’empires.

Yourcenar fait porter le terrible deuil à Hadrien jusqu’à la fin de ses jours.

Sans descendance, marié à une femme qu’il n’aimait pas, son dernier fait d’arme sera d’aller réprimer une révolte en Judée.

Cette guerre de 4 ans fera 90 000 morts Romains et 600 000 juifs.

En guise punition Hadrien chassera les Juifs de Jérusalem et renommera ce territoire Palestine.

Épuisé, malade, hanté par le souvenir de son amant disparu, Hadrien finira ses jours en méditant sur sa vie et se cherchant un successeur susceptible de continuer son œuvre.

Pourtant la fin du livre le présente comme se faisant peu d’illusions quand à la succession, le chaos et l’ordre semblant gouverner alternativement les hommes depuis la nuit des temps.

En résumé  « Mémoires d’Hadrien » est un livre de haut vol consacré à une des personnalités les plus fortes du monde antique.

Il est cependant quelques fois difficile à suivre du fait des multiplicités de lieux géographiques ou l’intrigue a lieu.

Sans plan datant de l’Antiquité et solides références sur les Calédoniens, Sarmates, Daces, Parthes il est quelques fois délicat de se situer dans l’espace.

Si le fait que l’auteur ait injecté certaines réflexions me paraissant anachroniques et décalées par rapport à son époque m’a quelques fois fait sursauter, si l’on pourra toujours objecter que Yourcenar n’a pu que fantasmer et déformer la pensée d’un homme et d’une époque qu’elle n’a jamais connus, il me paraît irréfutable de considérer ces mémoires comme un des plus beaux et aventureux chef d’œuvre littéraire jamais écrit.

Et puis au fond n’est ce pas l’essence même de l’écrivain que de travestir la réalité afin de nous faire rêver ou réfléchir ?

Enfin argument contre ceux qui penseraient que la vie d’un empereur romain n’intéresse personne aujourd’hui,  le succès actuel de l’ exposition  à Londres consacrée  à Hadrien au British Museum laisse à penser que ce personnage est encore amène de fasciner les foules modernes.

Une citation pour finir « 

La nature nous trahit, la fortune change, un dieu regarde d’en haut toutes ces choses …

Nos lettres s’épuisent, nos arts s’endorment, Pancratés n’est pas Homère, Arrien n’est pas Xénophon et quand j’ai essayé d’immortaliser dans la pierre la forme d’Antinoüs je n’ai pas trouvé de Praxitèle.

Nos sciences s’épuisent depuis Aristote et Archimède, nos progrès techniques ne résisteraient pas à l’usure d’une guerre longue, nos voluptueux eux même se dégoûtent du bonheur.

L’adoucissement des mœurs, l’avancement des idées au cours du dernier siècle sont l’œuvre d’une minorité de bon esprits, la masse demeure ignare, féroce quand elle le peut en tout cas égoïste et bornée et il y a fort à parier qu’elle restera toujours telle qu’elle.

Trop de procurateurs et de publicains avides, trop de sénateurs méfiants, trop de centurions brutaux ont compromis d’avance notre ouvrage ….

La nature préfère repartir à même l’argile, à même le chaos et ce gaspillage est ce qu’on nomme l’ordre des choses. » 
Prochain livre lu : "Mémoires de Steevie" par Loana, avec une préface de Benjamin Castaldi.

Commentaires