Gimme danger (Joe Ambrose)

 


 


Voila bien longtemps que j’avais envie de découvrir la biographie de l'une de mes idoles musicales Iggy pop, ceci est à présent réalisé avec « Gimme danger » énorme pavé de 500 pages du journaliste Joe Ambrose.

Paru en 2008, « Gimme danger » retrace de manière chronologique toute la vie de l’homme dont le véritable nom est James Ostenberg.

Né en 1947 prêt de Détroit dans l’état du Michigan, James est issu de parents pauvres vivant dans une caravane, mais très soucieux des valeurs de l’instruction.

Son père, un ancien sportif et professeur d’anglais, tient en effet envoyer James dans des écoles bourgeoises afin de lui permettre de faire des études.

Grandissant dans cet environnement marginal, James se distingue très tôt par un tempérament solitaire et mélancolique allant de pair avec une santé asthmatique fragile.

Néanmoins très bon élève il parvient à s’inscrire à l’Université de Ann Harbor ou il entame des études d’anthropologie.

Nous sommes dans les années 60, en pleine révolution hippies et au contact de l’immense centre universitaire de Ann Harbor, James va comprendre qu’il est plus attiré par la musique que par les études.

Il commence ainsi comme batteur dans divers groupes locaux de pop/blues comme les Prime movers,

Il fait également la connaissance des frères Asheton (Ron et Scott) eux même déjà en marge des autres étudiants et très portés comme James sur la musique.

Le rapprochement se fait progressivement et les compères décident alors de former un groupe appelé les Stooges et de composer une musique expérimentale, très barrée avec bien souvent l’usage d’instruments fabriqués par leurs soins.

Porté naturellement à attirer la lumière sur lui, Iggy délaisse la batterie pour se positionner comme chanteur avec Ron à la guitare, Scott à la batterie puis plus tard Dave Alexander à la basse.

Leur musique s’oriente alors vers le rock dur, avec comme modèles The doors.

Aidé par leur nouveau manager Jimmy Silver, les Stooges se taillent un succès grandissant dans l’underground, notamment en raison du jeu de scène déjà spectaculaire d’Iggy pop puis côtoient The up et the MC5, les deux autres groupes  tendance rebelle de la scène émergente de Detroit.

Violents et intenses, les Stooges sont soutenus par les magazines spécialisés comme Creem (dans lequel officie l’écrivain rock Lester Bangs).

Iggy attire l’attention par son maquillage gris argenté, ses excentricités, ses provocations au public, ses exhibitions, ses bonds dans la foule et même ses curieux rituels d’ auto mutilation.

Sa vie privée est le reflet de son image scénique, chaotique et intense, avec un nombre impressionnant de conquêtes féminines.

Iggy se marie par accident à 19 ans avec la fille de bonne famille Wendy Weisberg qui ne supportera pas bien longtemps la vie en communauté dans une grande maison de Ann Harbor ou les Stooges vivent en marginaux sans repères ni lois.

Le groupe signe un contrat chez Elektra et composent à New York dans un état de quasi improvisation leur premier album « The Stooges » en 1969 qui se fait immédiatement remarquer par son originalité et par la virulence de quelques titres phares, « 1969 », « No fun » et « I wanna be your dog ».

Sur place, Iggy découvre New York et se rapproche d’un certain milieux arty-branché dans lequel gravitent Andy Warhol, William Burroughs, David Bowie et une ex chanteuse du Velvet Underground Nico, belle plante vénéneuse qui lui fait découvrir par le biais d’une courte liaison le cunnilingus, les vins français et la consommation de drogues dures comme l’héroïne !

Le coté extraverti et androgyne d’Iggy ainsi que la taille présumée de son énorme sexe, lui attire également l’intérêt du public homosexuel et les Stooges surfent sur cet attraction en se produisant dans des clubs ouvertement gays plus habitués aux spectacles de travestis.

Le bisexualité possible d’Iggy pop est ainsi souvent évoqué par Ambrose au cours du livre, sans que ces soupons ne dépassent le cadre de rumeurs quasi invérifiables.

Après « Fun house » deuxième album assez jazzy sorti en 1970, les Stooges changent de stature, commencent à se produire dans des grandes salles et a gagner de l’argent.

Ils obtiennent alors de grandes facilités pour se procurer de la drogue dans des quantités astronomiques avec notamment le speed (ou STP) mélange de LSD et d’amphétamines aux effets dévastateurs.

Leader du groupe, Iggy vire l’alcoolique Alexander et le remplace par Jimmy Recca, ce qui n’empêche pas leur maison de disques de mettre fin à leur contrat.

Camé jusqu’à la moelle, il se rapproche alors d’un ami d’enfance, le guitariste James Williamson, qui meilleur techniquement que Ron et doté d’un physique plus avantageux, prend alors une place dominante dans le groupe.

Lorsque James et Iggy parviennent à se sortir (temporairement) de l’emprise des drogues, ils se rendent à Londres pour que David Bowie alors superstar du glam rock anglais, les aide à former leur propre groupe.

Sur place, les deux amis ne trouvent pas malgré la richesse du vivier anglais de l’époque les musiciens qu’ils souhaitent et refont appel aux frères Asheton pour sortir en 1974 le troisième album des Stooges, l’exceptionnel « Raw power » produit par Bowie mais mal vendu par leur management, la société Mainman.

A leur retour aux Etats-Unis, les Stooges s’établissent à Los Angeles mais se délitent de l‘intérieur, la dépendance d’Iggy à la drogue le rendant ingérable et la déception des retombées de « Raw power » achevant de miner le moral des musiciens.

Les frasques d’Iggy pop à LA semblent sans fin, avec un délire permanent d’abus alcoolisés, opiacés et sexuels, mais aussi de bagarres et d’accidents graves qui auraient bien pu lui couter la vie.

Après « Metallic KO », un show mémorable à Détroit car mis sous tension en raison de représailles violentes d’un groupe de motards, les Stooges épuisés se séparent.

Le premier bassiste, Alexander meurt de son alcoolisme en 1975, Iggy se rapproche du clavier des Doors, Ray Manzarek puis tente de rebondir avec son ami Williamson pour sortir son premier album solo « Kill city » en 1976, jugé excellent par Ambrose, mais que je trouve pour ma part bien insipide comparé aux fusées des Stooges.

Vivant de manière extrêmement précaire et toujours sous l’emprise de ses addictions, Iggy pop ne doit son salut qu’à son ami David Bowie qu’il va suivre à Berlin dans sa fascination pour l’Allemagne d’avant guerre.

La vie des deux amis à Berlin laisse fortement à penser à une relation homosexuelle, mais donne aussi lieu à une production artistique interessante, « The idiot » et « Lust for life » assurément les deux albums les plus connus d’Iggy pop en solo et contenant ses tubes les plus célèbres : « Lust for life » « The passenger » ou « China girl » qui deviendront des hits planétaires et assurèrent par la suite sa fortune par le biais de juteux contrats publicitaires.

Sans Bowie comme tuteur et Williamson parti se reconvertir avec talent comme ingénieur informatique, la suite est plus délicate, aussi les albums suivants « New values », « Soldier » « Party », sans réel hits et globalement très moyens font plonger lentement Iggy sur le chemin du déclin.

Nous sommes dans les années 80 à présent, la vague punk qui reconnut Iggy comme père spirituel était passée, les gouts du public avaient changé et Iggy soudain trentenaire, se trouva rapidement à nouveau en difficulté et sans maison de disques.

Ambrose profite de cette période pour souligner la surprenante adhésion d’Iggy pop aux valeurs conservatives américaines et son soutien discret mais réel au président républicain Ronald Reagan.

Ces critiques sur ses gouts de droite en apparence aux antipodes de son style de vie déglingué et sans limite seront avec la supposée misogynie du chanteur réputé au cœur froid et dur avec les femmes, seront récurrentes tout au long du livre.

En 1982, Iggy s’établit alors dans le quartier miteux de Brooklyn italien à New York, co-rédige avec Anne Wehrer son autobiographie « I need more » et entame une brève liaison avec la journaliste.

Un concert au Japon durant la tournée « Zombie birdhouse » (autre flop musical retentissant) Iggy rencontre une jeune japonaise Suchi Ran, qui deviendra sa femme et contribuera à l’assagir pendant quelques années.

C’est une nouvelle fois David Bowie, considérablement assagi et ayant opté pour un important virage commercial en réadaptant leur tube commun « China girl » à la sauce MTV, qui vola au secours du vieux chanteur en perte de vitesse pour l’aider à composer et produire un nouvel album.

Bien que détestable artistiquement car horriblement rock-fm, « Blah-blah-blah » relança quelque peu la carrière d’Iggy pop, qui opta pour un nouveau look presque propret, cheveux courts et costumes sobres.

Avec l’argent des royalties du tube de Bowie et le succès de « Blah-blah-blah », Iggy peut à nouveau se permettre de vivre confortablement.

Exit donc le populaire et métissé Brooklyn pour le chic Manhattan et ses immeubles de luxes.

Sous l’influence de Suchi, Iggy change son image, opte pour des gouts de nouveau riche, collectionnant les œuvres d’arts comme des peintures et sculptures vaguement ethniques.

Iggy devenu parfaitement clean et intransigeant sur la consommation de drogues dures, s’acoquine alors avec Andy Mc Coy, l’ancien guitariste de Hanoi Rocks, et sort en 1988 « Instinct » un excellent album de hard mélodique, qui confirme le renouveau de l’icône du rock capable encore de violentes colères face à des sponsors trop omniprésents comme Pespi.

Avec le succès, il est assez aisé de réunir un ensemble de stars (dont Kate Pierson, Slash, Mc Kagan) pour produire un « Brick by brick » inégal, puis un « American caesar » plus cérébral au début des années 90, tout deux étant selon moi bancals.

Meme si « Naugthy little doggie » est un poil meilleur, la carrière d’Iggy connait un creux notable au milieu des années 90 et le fait se tourner malgré la sympathie de Scorcese ou Johnny Depp, sans grand succès vers le cinéma avec des seconds roles peu marquants dans « The crow : city of angels », « Tank girl » ou le peu mémorable « Crocodile dundee III ».

Après son divorce, un disque acoustique « Avenue B » superbement introspectif mais peu compris à l’époque, Iggy pop quitte ses luxueux appartements de Manhattan pour s’installer à Miami dans une demeure plus modeste.

A cinquante ans passés, il y rencontre Nina Alu, sculpturale métisse nigériano-irlandaise de 35 ans qui deviendra sa nouvelle petite amie.

Mais malgré un tonitruant « Beat’em up » ultra métallique sorti en 2002, la carrière d’Iggy peine à reprendre son essor et il est alors devenu de plus en plus fréquent de  le voir cachetonner sans vergogne pour des campagnes publicitaires (Reebook, Pespi, SFR).

Contre toute attente, Iggy se rapprochera de ses anciens compères de Stooges, les frères Asheton, tout d’abord timidement sur quelques morceaux de « Skull ring » moins métallique mais néanmoins excellent album de punk/roll, qui semble a-t-il moins retenu les faveurs de Ambrose, assez critique face à la nouvelle garde pop-punk (Green day, Sum 41) ou électro (Peaches) racolée ici pour l’occasion.

Le livre se conclut donc sur la réunion des Stooges, avec un Iggy sexagénaire, encore en forme physiquement, débarrassé de ses addictions et en apparence maitre de sa destinée.

En conclusion, « Gimme danger » est-ce qu’on peut appeler une œuvre fleuve, retraçant sans complaisance et avec une grande minutie l’intégralité de la vie d’Iggy pop, depuis ses origines modestes matériellement mais privilégiées intellectuellement, la conjonction de sa jeunesse avec les années 60 marquées par la liberté, la rébellion, la musique, le sexe libre et la drogue et sa maturité somme toute relativement tardive.

Iggy pop incarne avec la musique avant-gardiste des Stooges la parfaite transition entre la fin des années hippies, le folk/pop psychédélique des Beatles et l’arrivée d’un nouveau courant musical, plus social, violent et malsain, le punk à la fin des années 70.

Rien que pour ceci et pour son jeu de scène inégalé mêlant performance athlétique, souplesse et folie, il mérite d’être vénéré.

Cependant, la carrière d’Iggy pop se prolonge au delà de ses années de défonce, traversant les décennies, années 80, 90, 2000, 2010 et maintenant 2020.

Souvent à terre, seul, ruiné, Iggy s’est à chaque fois redressé, aidé par des amis influents comme David Bowie ou sa seconde femme Suchi.

Son statut de survivant, de monument vivant du rock, ses excès aussi bien dans la pauvreté que dans la démesure, avec la vie simple dans la banlieue industrielle de Detroit, la folie musicale de Londres, le délire philosophico-amoureux de Berlin, la démesure opulente ou misérable de New-York et enfin la stabilité métissée de Miami, en font un homme absolument captivant.

Bien entendu, les esprits chagrins noteront sa dureté envers les femmes, son absence de sens des responsabilités envers son fils, ses convictions politiques un brin réactionnaires, ses pitoyables tentatives pour cacher ses histoires homosexuelles et son gout prononcé pour l’argent, qu’il a utilisé sans aucun sens du paradoxe en vendant son image pour des multi-nationales, mais avouons que en toute honnêteté ces critiques s’avèrent négligeables face au parcours d’un tel homme.

Je recommande donc ce livre aux fans d’Iggy pop, qui comme moi désireront tout connaitre de leur idole et de la folie rock des années 60-70. Rock’n’roll baby !

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