La guerre du Péloponnèse (Victor Davis Hanson)
Progression logique : après les guerres médiques je suis passé à « la guerre du Péloponnèse » de Victor Davis Hanson .
En effet si les livres de Steven Pressfield et d’Henri Pigaillem lus précédemment décrivaient la résistance héroïque et quasi mythique des Grecs contre l’ogre perse tentant de les avaler, on pouvait se demander ce qu’il était advenu par la suite après cet effort colossal.
Et bien le livre très dense d’Hanson apporte une réponse.
Si pour les guerres médiques les écrits d’Hérodote servaient de matière première, pour le Péloponnèse ceux sont les écrits de l’historien Thucydide, témoin oculaire, stratège militaire et humaniste-pessimiste qui feront foi.
La déroute des Perses en –479 a dans un premier temps marqué le début d’une ère de domination de prêt de cinquante ans d’Athènes sur le monde grec.
C’est ce qu’on pourrait appeler le temps des lumières athénien sous l’ère de Périclès.
Les plus belles et complexes constructions architecturales comme le Parthénon sont érigées, Socrate « invente » la philosophie, Eschyle, Euripide, Sophocle et Aristophane écrivent des chefs d’œuvres théâtraux qui traverseront les siècles, il y a donc un foisonnement culturel et technique sans égal à l’époque.
Mais Athènes domine aussi militairement et économiquement de manière écrasante toutes ses rivales par la qualité et la quantité de ses navires.
Ainsi Athènes devient une sorte de super puissance impérialiste cherchant à imposer ses colons et son système démocratique à l’ensemble des autres cités.
Ses grandes rivales de toujours, Thèbes, Corinthe et surtout Sparte se sentent menacées par cette puissance envahissante.
Rapidement en –431 les tensions s’accroissent et une guerre civile grecque éclate entre Athènes et ses colonies d’un coté et une ligue Péloponnésienne dirigée par Sparte de l’autre.
C’est le récit de cette guerre fratricide sanglante qui durera prêt de 30 ans que nous raconte Hanson.
Son livre prend un parti plutôt original, celui de ne pas dérouler les événements de manière chronologique et linéaire mais plutôt par grands thèmes autour du feu, de la maladie, de la terreur ainsi que des techniques militaires utilisées lors de ce conflit.
Au niveau des forces en présence et des différences de stratégies adoptées l’antagonisme est extrêmement marqué.
Tout en effet oppose Sparte et Athènes.
Sparte est une oligarchie inégalitaire avec un pouvoir appartenant à une classe supérieure, c’est une ville terrestre, très militarisée, peu ouverte culturellement et techniquement, avec une marine inexistante, mais une armée terrestre considérée comme invincible et redoutée par le monde entier.
Ses points faibles sont donc son manque de richesses (nécessaires pour mener une guerre longue ) et une immense classe d’esclaves dit « hilotes » voisin grecs asservis par la force et susceptible de se révolter un jour pour faire exploser le système qui les a oppressés depuis si longtemps.
Sparte mise donc tout sur une stratégie d’invasion terrestre massive en forçant les Athéniens à sortir de leur ville pour les battre dans une bataille rangée.
Elle est appuyée en cela par son alliée Thèbes, presque aussi redoutable par ses fantassins, qui est chargée d’ouvrir un deuxième front au Nord de l’Attique de manière à prendre en tenaille Athènes.
De son coté Athènes est une démocratie gouvernée par une assemblée à domination populaire plutôt versatile que Périclès parvient à canaliser par son charisme.
Ses richesses sont énormes, ses colonies nombreuses, notamment dans les îles.
Sa stratégie est de refuser un affrontement terrestre direct avec les Spartiates en se retranchant derrière des hautes murailles fortifiant la ville, tenir le siége, et de lancer des attaques éclairs à l’aide de ses navires pour affaiblir les Péloponnésiens et provoquer des révoltes chez les esclaves des Spartiates en leur proposant un système démocratique plus égalitaire.
En –431 c’est Sparte qui lance la première son invasion terrestre, les Athéniens se retranchent derrière leurs murs tandis que les Spartiates incapables techniquement de prendre la ville d’assaut ravagent les récoltes des paysans les conduisant à se cacher dans la ville.
Mais une faille apparaît dans la stratégie Athénienne, la surpopulation, la chaleur et les conditions d’hygiène dans la ville pendant le siége produisent l’apparition de la peste.
Cette épidémie étalée sur prêt des quatre ans aura des conséquences dramatiques et décimera une partie importante des forces athéniennes.
Périclès lui même en meurt et avec lui Athènes perd son leader spirituel et tactique.
Pourtant au final les Spartiates eux mêmes atteints par la peste et épuisés par ces siéges stériles se retirent également.
Athènes lance alors ses raids navals meurtriers et soumet dans le sang certaines îles comme celle de Mytilène.
De leurs cotés les Péloponnésiens ne sont pas en reste et détruisent aussi les villes refusant de se soumettre comme Platées.
On assiste alors à une escalade de la terreur, les codes de la guerre entre cités grecques volent en éclat, avec l’apparition pour la première fois de massacres de soldats désarmés ou en déroute et même de populations civiles.
Les techniques militaires changent, les batailles « à la loyale » entre phalanges sur un terrain découvert cessent, on voit l’apparition de fantassins légèrement armés destinés à tuer des hoplites isolés ainsi que d’armes de trait (fronde ou arc ) considérées comme déshonorantes par les Grecs pourtant.
La cavalerie jadis plutôt aristocratique et minoritaire obtient un rôle nouveau.
On voit même l’apparition des premières machines de sièges même si rudimentaires.
Les succès changent alternativement de camps, les Spartiates tentent cinq invasions terrestres sans succès, les Athéniens commandés par Alcibiade général brillant mais peu honorable infligent la première déroute terrestre aux Spartiates à Sphactérie en –425 , certes dans une bataille non rangée, ces derniers prennent leur revanche à Mantinée en –418.
Alcibiade est exilé pour des soupçons d’impiété et rejoint le camps spartiate pour se venger.
Les Spartiates ont compris qu’ils ne battraient jamais les Athéniens si ils ne parvenaient pas à construire une flotte capable de rivaliser avec leurs navires.
Ils s’allient donc avec leurs ennemis de toujours les Perses qui les soutiennent à l’aide des richesses de leur immense empire.
Soutenue financièrement, Sparte se lance dans de grands programmes navals et recrute des marins étrangers.
De leurs cotés les généraux grecs athéniens comme Nicias ne sont pas au niveau de leurs prédécesseurs et accumulent les erreurs tactiques.
La guerre de Sicile s’étalant de –415 à –413 marque le tournant de la guerre.
Athènes se lance dans l’invasion de cette île gigantesque, démocratique, très peuplée et situées très loin de chez elle.
L’armée, dirigée par des généraux incompétents se heurte aux cavaliers Syracusins et subit de lourdes pertes.
Cette entreprise folle se termine par une déroute massive, l’exécution des généraux et la destruction d’une grosse partie de la flotte Athénienne.
Sparte lance alors de multiples offensives navales pour profiter de son avantage.
L’amiral spartiate Lysandre s’avère un brillant stratège.
Les batailles finales ont lieue dans la mer Egée prêt de la Ionie.
A cours d’hommes les Athéniens enrôlent des esclaves en leur promettant la liberté après la guerre.
En –406 la bataille des Arginuses sera l’une des plus meurtrières de l’Antiquité.
Les Athéniens prennent encore l’avantage sur les Spartiates en mer mais les généraux vainqueurs sont exilés et l’alliance avec la Perse permet aux Spartiates de fournir toujours plus de bateaux.
En –405 Athènes voit sa flotte détruite et capitule l’année suivante.
Mais Sparte ne profitera pas longtemps de son triomphe, s’avérant incapable d’administrer un empire et son alliance avec un allié aussi encombrant que la Perse lui causant des difficultés insurmontables.
En –403 la démocratie fut rétablie à Athènes et un semblant d’équilibre rétabli avec un pouvoir restreint moins impérialiste et envahissant vis à vis de ses voisins.
Le dernier chapitre du livre est de loin le plus intéressant.
Il analyse en effet les raisons de la défaite athénienne et les conséquences sur le long terme de cette guerre civile.
La Grèce ressortira en effet affaiblie, traumatisée, avec des blessures difficiles à cicatriser.
La fin de l’age d’or ? Contrairement à l’auteur je le pense car si pendant soixante ans le pays fut stable il fut par la suite définitivement conquis par les Macédoniens Philippe et son fils Alexandre.
On peut donc parler d’inéluctable déclin .. ce qui fait que généralement l’age d’or de la Grèce est situé au Viéme siècle, avant la guerre du Péloponnèse, après c’est autre chose même si finalement les bases posées subsisteront culturellement.
On peut donc penser que les trente années de ce conflit fratricide auront marquées un coup d’arrêt à l’expansion du monde hellène.
Finalement même les inventeurs de la démocratie et de la philosophie n’ont pas échappés aux écueils des excès de pouvoirs et aux horreurs de la guerre.
Si la guerre contre les Perses étaient une guerre juste, celle entre Grecs s’est avérée beaucoup plus vicieuse et sale dans ses méthodes.
A propos du livre en lui même il s’agit d’un pavé de 500 pages, fournissant un travail extrêmement méticuleux et sérieux.
Le fait que tout le travail repose sur un seul auteur Thucydide me gêne toutefois surtout quand on le compare à celui Henri Pigaillem qui lui avait confronté plusieurs sources différentes dans un soucis d’impartialité.
Les énumérations de statistiques sont quelques fois fastidieuses et les remarques après coups sur les erreurs de stratégie commises un peu faciles à mon goût.
Cependant la volonté constante de l’auteur de raccrocher cette guerre aux conflits modernes est tout à fait louable.
Ainsi comparer Athènes la super puissance capable de frapper à distance pour imposer son modèle économique et politique aux Etats Unis actuels est plutôt astucieux mis à part que ce type de comparaison me parait plutôt limité, les Américains n’ayant pas il me semble de rivaux terrestres les menaçant directement sur leur propre sol.
Pour ma part au niveau des échelles je vois ce conflit comme si un jour Marseille devenue capitale économique et militaire de la France avait été attaquée par Paris ou par Lyon, rivales purement terrestres menacées par une influence grandissante.
En conclusion, malgré sa densité et son sérieux j’ai moins aimé ce livre que les précédents.
Peut être aussi que tout simplement les guerres médiques façon David contre Goliath exaltent plus mon imaginaire que des conflits internes pour une question de suprématie.
A lire toutefois pour avoir les connaissances historique de fond nécessaires pour aborder, les productions littéraires et théâtrales d'Euripide, Sophocle et Aristophane tournant autour de ce sujet terriblement marquant pour un Grec ayant connu cette période.
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