Mafias (Gilbert Thiel)

 



 Sorti en 2014, « Mafias » est déjà le sixième livre de l’ex juge anti-terroriste Gilbert Thiel.
Dans cet ouvrage dense, Thiel, visiblement passionné de cyclisme professionnel fait constamment le parallèle entre ce sport gangrené par le dopage et le mensonge et celui des mafieux.
« Mafias » commence donc par un panorama général du monde du crime organisé, qui comme certains magistrats européens l’avaient annoncé en 1996 a profité de l’effondrement du bloc communiste, de la création de l’Europe communautaire, de la globalisation du commerce pour s’internationaliser et échapper plus facilement aux contrôles.
Ainsi, les flux financiers issus du crime : trafics divers, notamment de stupéfiants, racket, prostitution, détournements, sont-ils blanchis à grande échelle dans des investissements de société écrans ou directement dans certaines banques finalement assez complaisantes et peu regardantes sur leurs clients, comme HSBC nommée dans une affaire de blanchiment supposée d’argent à échelle internationale, contre laquelle tout poursuite, y compris de l’administration Obama furent abandonnées malgré les révélations d’un ex informaticien.
Mais comme l’explique le juge, l’inertie des pouvoirs publics pour traiter ce vaste problème peut s’expliquer par l’implication assez fréquente d’hommes politiques de haut rang (ministres ou chef d’états) dans ces circuits de la corruption et finalement plutôt gênés aux entournures lorsqu’il s’agit de lever le voile tacite d’opacité sur le monde de la délinquance financière.
Les chapitres suivant désignent alors un semblant de hiérarchie, majoritairement européenne des organisations criminelles : dans le peloton : Ex-yougoslaves, Albanais, Roumains et Bulgares avec chacun leurs spécialités : mendicité forcée, vols de métaux ou de fret, prostitution, trafic de cigarettes, d’armes ou de drogues.
On notera la position privilégiée de la puissante Maffya turque dans le trafic d’héroïne afghane qui transite à 90% par son territoire mais également dans le trafic d’être humains (migrants) obligés de transiter par son territoire.
Par essence plus discret, le crime organisé asiatique est rapidement évoqué avec la prostitution des salons de massage, le trafic de drogue, le travail et les paris clandestins.
Les filières africains sont o surprises plus modestes, le Nigéria pour son trafic d’êtres humains et le Maroc pour le cannabis en liaison avec des trafiquants de cité.
Au dessus du lot, les Russes, qui ont crée une sorte de gangstérisme d’état, les Vory-V-Zakone, très structuré et hiérarchisé, avec une présence massive sur le Cote d’Azur en France, ou ils eurent l’intelligence d’investir leur argent dans des activités immobilières.
Également redoutables mais souvent très liés aux Russes dont-ils partagent la langue, on retrouve les Ukrainiens, Géorgiens et les Arméniens,  ces derniers étant expert en blanchiment.
Souvent considérée comme en déclin car plus discrète, la Mafia italienne « historique » reste en réalité extrêmement puissante, tant ses différentes branches, la sicilienne Cosa nostras, la calabraise ‘Ndrangheta et la napolitaine Camorra ont su pénétrer profondément les rouages économiques et politiques de la société italienne.
Toutes les activités criminelles ou presque sont ainsi couvertes pour un chiffre d’affaires de 130 milliards d’euros annuels.
Bien entendu avec une telle force de frappe, la mafia italienne n’a eu de cesse de s’étendre dans l’Europe toute entière, l’Allemagne étant particulièrement touchée après la chute du mur de Berlin, les ramifications nord américaines (USA, Canada) étant connues de longue date au gré des vagues successives migratoires.
Ces figures charismatiques des parrains à l’italienne ont grandement inspiré le cinéma, comme Al Capone, Lucky Luciano, Vito Genevese, Charles Gambino, Frank Costello, Bugsy Siegel, Albert Anastasia ou Meyer Lansky au détriment des tout aussi redoutables mais plus discrets et frustres italiens Toto Riina et Bernardo Provenzano.
L’influence des parrains italo-américains fut tel que bon nombres de présidents comme Nixon ou Kennedy s’appuyèrent sur eux pour gagner les élections, ce qui explique une certaine « tolérance » des pouvoirs publics à leur égard.
Les rares politiciens, policiers, militaires ou juges comme le célèbre Giovanni Falcone qui tentèrent de s’opposer frontalement à la Mafia, connurent pratiquement tous une mort violente.
Quant aux repentis, souvent vitaux pour faire chuter une organisation, leur nombre et les moyens pour assurer leur sécurité ont fini par devenir rédhibitoires pour l’état Italien qui a durci les conditions de ce statut.
Un seul petit chapitre et c’est bien dommage consacré aux grands mafieux latino américains comme le Colombien Pablo Escobar ou le Mexicain Joaquin Guzman dit « El Chapo » chef du cartel de Sinola, appuyé par le gouvernement de Calderon dans sa lutte contres les autres cartels, comme celui de Los Zetas, composés d’anciens militaires devenus gangsters.
Une très (trop ?) large part est en réalité consacré au crime organisé français, avec une sur concentration des mafieux corses et marseillais.
Ces derniers se distinguent par le trafic international de drogue de la French connexion dans les années 70, finalement démantelé à la demande appuyée des Etats-Unis mais encore maintenant les surpeuplés quartiers nord de la ville servent de parfaits relais de distribution pour le trafic.
Thiel souligne de manière globale les nombreuses connexions entre les mafieux de grande envergure et les politiciens locaux, arrosés pour obtenir des contrats avantageux dans divers secteurs dont les plus connus sont le monde de la nuit (discothèques, bars), des jeux, du sport (allez l’OM !), du BTP, de la restauration et de la sécurité.
La Corse reste cependant la matrice du crime organisé, avec des mafieux aujourd’hui légendaires comme ceux de la bande la Brise de mer en Haute Corse, et ceux de la famille Colonna en Corse du Sud.
Sous des couvert de nationalisme local, bon nombre d’indépendantistes ont en fait purement et simplement versé dans le grand banditisme et n’ont dans ce domaine rien à envier avec leurs cousins et rivaux italiens : racket, trafic de drogue, blanchiment et surtout meurtres envers qui tente de s’opposer : du simple patron refusant le racket aux symboles de l’état : magistrats, policiers, militaires ou même préfets…
Le système pernicieux de la vendetta, hérité des temps les plus reculés de la Corse, favorise les règlements de comptes, mais les rivalités de pouvoirs éclatent fréquemment et laissent sur le carreau un nombre impressionnant de gangsters de l’Ile de beauté.
La litanie des meurtres pousse en effet à l’écœurement, aucun nationaliste-mafieux ne semblant voué à une mort naturelle…
La particularité de la Corse, contrairement au continent, est que les grands voyous se sentent quasiment intouchables et arrivent toujours en faisant pression sur les témoins juges, jurés et avocats, à échapper à toute condamnation légale.
Thiel l’affirme donc, malgré les multiples rapports de magistrats, juges ou préfets : rien n’a réellement été fait au plus haut niveau politique de pour éradiquer le crime organisé en Corse, l’état de droit étant dans ce cas incapable de s’exercer pleinement.
Issus de mouvements paramilitaires clandestins, les Corses possèdent une grande efficacité opérationnelle, maitrisant l’usage d’explosifs, d’armes de guerre et de haute précision.
Leur influence dépasse largement le cadre étroit de leur ile natale : des liens étant noués avec Marseille, Toulon, Nice et Paris, puis de manière plus ponctuelle vers la Russie ou l’Afrique de l’Ouest avec un contrôle du trafic des jeux de hasard.
Face à des organisations structurées, violentes et tentaculaires, capable par la corruption de bénéficier de soutien politique, Thiel rappelle la faiblesse des moyens de police et de justice, et les résultats s’apparentant au mieux à une mécanique du « grain de sable » dans la machine.
En conclusion, malgré son sujet en principe passionnant, « Mafias » est une demi-déception car se focalisant beaucoup sur le milieu des gangsters corses, marseillais voir toulonnais qui occupent plus de la moitié de l’ouvrage, un autre bon tiers étant dévolu à la mafia historique italienne, qu’on pense à tort en perte du vitesse et reléguée au rang de « folklore » cinématographique.
On aurait aimé en revanche un approche plus profonde et détaillée des autres organisations criminelles internationales asiatiques, américaines ou même arabes mais ces sujets étaient sans doute hors de portée du domaine de compétence du juge qui signe ici un ouvrage un peu désespérant et lassant, tout particulièrement dans sa seconde partie.

Commentaires