La guerre Iran Irak, première guerre du Golfe 1980-1988 (Pierre Razoux)

 


 


Lorsque j’avais une dizaine d’années, mon meilleur ami était Iranien et s’appelait Sina.

Sans que je comprenne un jour pourquoi, cet ami m’a été arraché et a du rentrer en Iran en plein milieu de la guerre contre l’Irak.

Sina m’a ensuite écrit une belle lettre ou il me parlait des bombardements, je lui ai répondu mais n’ai jamais eu de réponse en retour.

Cet épisode m’a marqué étant enfant aussi est-ce avec le plus grand intérêt que je vais maintenant chroniquer « La guerre Iran Irak, première guerre du Golfe 1980-1988 » de l’historien Pierre Razoux.

Cet ouvrage imposant de plus de 500 pages publié en 2013 se propose de décortiquer les origines du conflits, les différentes forces agissant pour soutenir les deux camps, les étapes de la guerre et les répercussions sur le monde quelles soient politiques ou économiques.

Comme souvent on trouve à l’origine du conflit un litige territorial, des territoires comme le Khouzistan arabophone, zone marécageuse pétrolifère séparée des deux camps par le fleuve Chatt el Arab avec du coté irakien Bassora et du coté iranien Abadan.

Saddam Hussein déjà président de l’Irak, qu’il dirige d’une main de fer en éliminant ses opposants et terrorisant son propre camp, parait à l’origine du conflit et profite de la chute du chah d’Iran, renversé par la dictature islamique de l’ayatollah Ruhollah Khomeiny pour attaquer un régime qu’il estime affaibli car miné par des conflits intérieurs et incapable de résister à une offensive musclée.

Bien qu’ambitieux, Saddam Hussein sait qu’il n’a pas les moyens de contrôler un pays aussi vaste et peuplé que l’Iran, c’est pour ceci qu’il déclenche en 1980 une guerre qu’il espère courte et décisive.

Du coté irakien, on mise sur du matériel soviétique de qualité moyenne mais en quantité impressionnante assurant une domination des forces terrestres avec chars T-55, T-62 et canons, tandis que les Iraniens resteront supérieurs au niveau aérien en profitant de la supériorité technologiques des avions américains Phantom, Tomcat des hélicoptères Cobra achetés par le chah, mais également d’un point de vue maritime avec des vedettes rapides et quelques frégates, alors que leurs rivaux ne disposent au mieux que de patrouilleurs.

Echaudé par les quelques revers essuyés par ses MiG et Su, Saddam Hussein comprend vite qu’il ne pourra pas compter sur une maitrise écrasante des airs et lance une offensive terrestre lui permettant d’effectuer une percée jusqu’à la ville de Khorramchahr.

Se pensant arrivé au but, il stoppe devant la résistance iranienne son offensive et entreprend des négociations qu’il espère en sa faveur avec l’Iran.

Mais l’effet obtenu est alors tout opposé, le pays agressé fait bloc, exige le départ de Saddam, des réparations pour les dommages, un référendum pour le Kurdistan.

Fanatisé par les mollahs et par la défense de son territoire, l’Iran fait bloc, exhumant la fierté perse contre l’envahisseur arabe.

Khomeiny qui fait office de guide spirituel se tenant en retrait de la vie politique, dirige en réalité dans les principaux dirigeants que sont les ayatollahs Akbar Hashemi Rafsandjani et Ali Khamenei, le premier nommé se révélant être un chef de guerre charismatique et le second plus religieux introverti que homme d’action.

Ensemble, les trois hommes créent des unités de pasdarans, composés de jeunes garçons fanatisés par la religion, combattant aux cotés de l’armée régulière, plus entrainée et mieux armée.

Ces pasdarans seront envoyés pour se sacrifier en des charges suicidaires afin de submerger les positions irakiennes.

Du coté géopolitique mondial, engoncés dans une logique de Guerre froide, les autres pays s’alignent non sans duplicité sur l’un ou l’autre camps dans cette région vitale pour leurs économies.

Partenaire historique de l’Irak, l’URSS continuera ses livraisons d’armes tout en tentant quelques rapprochement de circonstances avec l’Iran à la fin du conflit pour contrer leurs rivaux américains, conserver une influence au Moyen-Orient et aider les Iraniens à développer leur programme nucléaire.

Les Etats-Unis afficheront tout d’abord une neutralité de bon aloi avant devant l’intransigeance doctrinale de l’Iran à leur égard, de devoir intervenir eux-mêmes militairement pour libérer le détroit d’Ormuz.

La France comme la Chine et la plupart des autres pays, soutiendra massivement l’Irak en livrant de puissants chasseurs Mirage et Super étendard, et en soutenant le programme nucléaire irakien en fournissant l’assistance technique à la construction de la centrale nucléaire d’Osirak, avant que celle-ci ne soit détruite par l'armée israélienne en 1981.

Du coté des puissances locales, le Koweït souffrira de son encombrant voisin irakien, tandis que l’Arabie Saoudite bien que craignant l’ambition de Saddam Hussein, choisira l’Irak contre son vieux rival chiite.

La Syrie, rivale de l’Irak se rangera aux cotés de l’Iran tout comme la Libye du colonel Kadhafi ennemi personnel de Saddam, mais on retiendra surtout le rôle de la Turquie qui achètera la quasi-totalité du pétrole iranien et une bonne partie du pétrole irakien, profitant d’une occasion inespérée de s’enrichir et de préserver sa neutralité.

L’Iran comptera aussi un allié inattendu, Israël qui livrera dans le plus secret également des armes pour combattre la menace irakienne jugée beaucoup plus proche et menaçante.

Au total, durant les huit années de guerre, la plupart des grandes industries militaires du monde décrochèrent des contrats mirifiques en venant des armes, matériels et munitions souvent indistinctement aux deux camps, allant même jusqu’à violer par appât du gain les traités internationaux ratifiés par leur pays avec au passage de retentissants scandales impliquant des personnages politiques ou militaires de très haut rang.

Nourri d’un fort sentiment de revanche et galvanisés par leurs leaders, les Iraniens mobilisent leurs troupes pour résister, bloquer l’avancée irakienne à Abadan, puis ensuite contre attaquer en 1981 en ouvrant un nouveau front Kurdistan ou les peshmergas pro iraniens du PDKI prennent les armes contre les Irakiens.

L’Irak est obligé de déplacer des troupes dans une région montagneuse et difficile d’accès et ouvre ainsi une possibilité de contre attaque exploités par les vagues de fantassins pasdarans qui appuyés de chars parviennent à refouler les soldats irakiens à Suze puis au Khouzistan en 1982 avec la reprise symbolique de Khorramchahr, réputé entre un Stalingrad perse en raison de la violence des combat rue par rue.

Encouragés par leurs victoires, Khomeiny et Rafsandjani refusent toute tentative de médiation et lancent ensuite une énorme attaque sur une ligne étendue entre Bassora et Kirkouk afin de frapper l’Irak au cœur de son économie.

Malgré de sanglants combats, l’armée irakienne appuyée par son aviation et l’emploi pour la première fois d’armes chimiques (gaz moutarde ou neurotoxique de type sarin) parvient à stopper l’invasion.

La poussée iranienne continue en 1983 grignotant un peu de territoire aux Irakiens aux prix d’énormes pertes humaines.

Même si Saddam Hussein bénéficie d’un machine cryptographique lui permettant de prévoir les grands mouvements de l’armée régulière en interceptant ses communications, cet avantage stratégique ne peut l’empêcher de perdre les iles Majnoun plateformes pétrolières situées dans un zone marécageuse au nord de Bassora.

Incapable de porter un coup décisif à l’Irak, l’Iran va changer de tactique et avoir recours à une stratégie d’attentats, d’enlèvements et de prises d’otages au Liban afin de faire pression sur des pays comme la France avec qui existe un contentieux depuis l’arrêt en 1979 du programme Eurodif qui devait permettre à l’Iran de développer son programme nucléaire par la livraison de trois centrales nucléaires Framatome.

Sous la présidence de François Mitterrand, les relations se tendront à l’extrême entre les deux pays chacun exerçant des pressions sur leurs ambassades et sur des échanges de prisonniers comme le terroriste Anis Nakache finalement gracié contre la libération d’otages.

Les Américains ont aussi leurs lots d’attentats et d’enlèvements, allant même jusqu’à se lancer sous Ronald Reagan dans une entreprise secrète de négociations périlleuses consistant à livrer des armes à l’Iran en échange de la libération de leurs otages.

Devant l’enlisement, Saddam Hussein change de tactique, bombardant les villes majeures comme Téhéran par avions ou missiles scud avec des résultats mitigés.

L’Iran répliquera également, frappant en retour Bagdad mais même les bombardements des raffineries pétrolières seront insuffisants pour affaiblir de manière significative l’économie de tel ou tel camp.

De son coté, le roi Fahd d’Arabie observe une stratégie efficace visant à faire chuter le cours du baril de pétrole, pour affaiblir l’économie de l’Iran.

A plusieurs reprises, l’Iran lance des offensives de grande ampleur pour faire tomber Bassora dans une zone qui entre 1985 et 1987 peut être comparée à un Verdun du Moyen-Orient par l’horreur des combats qui s’y déroulent, le sacrifice des hommes et la destruction des matériel tanks ou hélicoptères.

Après de multiples assauts et des dizaines de milliers de morts des deux cotés, l’Iran, exténuée et démoralisée, finit par renoncer et change de stratégie en utilisant le bombardement ou la dépose de mines contre les pétroliers venant se ravitailler dans le détroit d’Ormuz, ce qui entraine le franchissement d’une étape dans l’escalade avec un risque évident de dérapage à plus grande échelle.

Après l’attaque de plusieurs navires américains, les Etats-Unis sont alors contraints d’intervenir à Ormuz en 1987 et déploient d’importants moyens aéronavals avec porte-avions, destroyers, frégates et même base navale flottante dans laquelle embarquent les commandos des Seals.

Malgré un certain panache devant la disparité des forces en présence, la Marine iranienne est balayée et les structures dans lesquelles s’abritaient les poseurs de mines détruites.

Dans le chaos de l‘affrontement, un avion de ligne iranien est abattu par un croiseur ultra automatisé l’USS Vincennes, ce qui aggrave la crise diplomatique entre les deux pays et provoquera l’attentat du Lockerbie avec Kadhafi en exécutant.

Profitant de ce répit, Saddam Hussein reprend la majeure partie des territoires perdus et règle ses comptes en 1988 avec les Kurdes pro iraniens en faisant larguer des bombes chimiques sur le village rebelle de Halabja.

Sentant le vent tourner, l’Iran affaibli par la montée du cours du pétrole, les incursions américaines qui ont annihilé leur capacité d’intervention à Ormuz et par les lourdes ponctions de combattants engagés dans des combats-sacrifices face à un ennemi mieux armé et organisé, finit par céder et à ouvrir une négociation.

Malade, l’ayatollah Khomeiny en personne accepte avant de mourir de mettre son inébranlable orgueil de coté pour accepter les conditions d’un retour au status quo territorial sans exiger de réparations.

Saddam Hussein accepte de clore cette guerre qui lui a finalement échappé et commence ensuite à réfléchir au Koweït comme une proie tentante et plus facile à prendre que le coriace Iran.

En conclusion, « La guerre Iran Irak, première guerre du Golfe 1980-1988 » est un ouvrage passionnant m’ayant permis de tout comprendre ou presque de ce conflit contemporain terriblement meurtrier qui aura causé la mort de 680 000 personnes dont 500 000 Iraniens.

On est frappé de l’ampleur des combats, de la terrible ingéniosité des militaires et des ingénieurs, qui rivalisèrent de trouvailles pour utiliser leurs armements et le relief du terrain pour arriver à leurs fins.

Guerre d’usure ou le fanatisme religieux des Iraniens compensa la supériorité technologique et stratégique des Irakiens, la guerre entre l’Iran et l’Irak se distingua par son extrême violence, la puissance de son armement aérien, terrestre et à un degré moindre maritime, par le sacrifice des soldats et l’emploi d’armes chimiques.

Difficile également de ne pas être écœuré devant le cynisme des autres pays qui tout en condamnant le conflit et en s’emmêlant dans des organisations incapables d’actions (ONU, Ligue arabe ..) a profité du conflit pour faire tourner à plein régime son industrie d’armement et énergétique nucléaire et pétrolière.

Enfin, tout en nous rappelant que l’Iran bel et bien commandité des attentats à Paris et dans des TGV dans les années 80, ce magnifique ouvrage montre de manière éclatante l’antagonisme profond entre les Perses repliés dans un chiisme radical et les Arabes sunnites plus prosaïques comme l’Irak ou l’Arabie saoudite, antagoniste qui se vérifie encore aujourd’hui à la lumière des tristes conflits récent en Irak et en Syrie.

A recommander donc pour tous les passionnés d’Histoire et ceux qui comme moi voulaient comprendre ce qui était arrivé à Sina de retour dans l’Iran des années 80...

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