Pigalle, le roman noir de Paris (Patrice Bollon)

 



Ville dont l’histoire passionne, Paris est ici mise à l’honneur dans « Pigalle, le roman noir de Paris », ouvrage documentaire illustré en noir et blanc du journaliste Patrice Bollon paru en 2004.

Le parti pris est ici de s’intéresser à l’histoire de ce quartier de fêtes et de crimes qui attira tant d’artistes (peintres, écrivains, cinéastes) fascinés par cette particularité.

On évoque donc ici Toulouse Lautrec, Victor Hugo, Emile Zola, Henry Miller, Jacques Prévert, André Breton, Jean Genet, Django Reinhardt, Tino Rossi et Edith Piaf pour les plus connus d’entre eux.

Bollon débute par un épuisant exercice de définition concernant les limites géographiques forcément mouvantes du quartier entre le Sud plus calme du quartier qui descend vers Saint Georges jusqu’à l’église Notre-Dame-de-Lorette et le Nord, celui des boites de nuits du boulevard de Clichy, de la place Blanche et de la rue des Martyrs.

Une barrière invisible est alors délimitée avec les zones limitrophes de Montmartre plus artistique/touristique et Barbés ouvrier et populaire, une partie des Batignolles pouvant en revanche parfois s’y rattacher.

Au fil du temps, Pigalle qui n’était au départ qu’une zone de champs et de marécages, puis un parc d’attraction en bordure de Paris devint à partir des XVIII et XIX ième siècle le quartier plutôt bourgeois de la Nouvelle Athènes ou s’établissent des artistes renommés de l’époque : Dumas, Gautier, Nerval, Berlioz, Zola et le courant des peintres impressionnistes (Degas/Manet/Renoir)

Déjà les prostituées ou assimilées, appelées « lorettes » ou « grues » se font entretenir par leurs riches protecteurs…

Le quartier s’étend davantage avec construction des grands boulevards, ponts et surtout métro ouvert en 1903.

Mais Pigalle se fait d’abord connaitre par ses lieux de nuits dont les plus célèbres sont le Moulin rouge, l’Elysée Montmartre, la Boule noire et la Cigale ou on y vient s’encanailler jusqu’au bout de la nuit dans les bals populaires ou se mêlent ouvriers, bourgeois aventuriers, mauvais garçons et filles faciles.

Seul le Chat noir se distingue par une clientèle plus sélective.

Paradoxalement, Pigalle étant à présent dans Paris présente une sécurité supérieure par rapport aux zones périphériques de la ville, repaire de bidonvilles insalubres et dangereux.

A Pigalle, les cabarets fleurissent avec une tendance prononcée pour le clinquant voir le mauvais gout (l’Enfer, le Paradis, le Rat mort, le Folies Pigalle, la Nouvelle Eve).

Les danseuses se déshabillent, lèvent la jambes ou font le grand écart mais se prostituent aussi après le spectacle.

Après la Première guerre mondiale, les années folles augmentent encore l’activité du lieu avec l’ouverture des cinémas dont le plus grand de l’époque le Gaumont Palace et ses 6000 places, de restaurants russes ou bars américains.

On y croise Mistinguett, Joséphine Baker ou Django Reinhardt et une grande liberté de mœurs s’établit vis-à-vis des homosexuels en particulier des travestis hommes ou femmes avec lieux de rencontre spécialisés.

Mais le montée en puissance des lieux de nuits s’accompagne du revers de la médaille avec l’arrivée de la pègre organisée à Pigalle luttant pour le contrôle du racket, de la prostitution et de la distribution de drogue.

Pendant la Seconde guerre mondiale, ce qu’on appelle le Milieu profite avec opportunisme de la présence des Allemands à Paris pour maximiser ses profits.

Dans cette période trouble, les truands sans morale frayent avec les hauts gradés de la Wehrmacht ravis de compter sur ses intermédiaires précieux dans le détournement de la production française vers l’Allemagne, mais retourneront aussi vite leur veste pour continuer leurs trafics avec les GI américains eux aussi avides de plaisirs nocturnes dans le Paris de la Libération.

Chef de la Gestapo française et véritable Parrain de Paris au sein italien du terme, Henri Chamberlain dit « Lafont » sera un symbole de cette étrange collusion entre gangsters et nazi.

Après guerre, les bandes de Corses et de Marseillais s’affrontent ensuite dans de sanglants règlements de comptes qui contribuèrent à la réputation de violence du quartier.

Certains figures du grand banditisme émergeront de cette période comme Emile Buisson, Pierrot le Fou, Joe Attia, Pierre Carrot ou Pierre Cucurru qui officiait jusqu’à son assassinat par un patron de bar récalcitrant comme juge de paix des conflits entre truands.

Dernière composante du quartier, le sexe fait également intégralement partie de l’histoire de Pigalle.

Derrière l’existence de prostituées et prostitués indépendants travaillant boulevard de Clichy pour rabattre leurs michetons dans les hôtels de passe miteux des alentours, se cachaient les proxénètes appelés « julots casse croutes » « souteneurs« « maquereaux » qui établissaient des relations complexes avec leurs filles, mélange de violence, attachement et protection.

Dans la hiérarchie du crime, les proxénètes eux-mêmes se faisaient parfois racketter par des truands de plus gros calibre, braqueurs ou tueurs plus chevronnés.

En guise de conclusion Bollon évoque quelques films autour de Pigalle, dont le célèbre « Bob le flambeur » de Melville, « Touchez pas au grisbi » de Jacques Becker, « Du rififi chez les hommes » de Jules Dassin ainsi que plusieurs adaptations des romans policiers de Georges Simenon qui avec Albert Simonin Auguste Le breton et le moins connu André Helena fut l’un des écrivains qui décrivit le mieux Pigalle.

En conclusion, « Pigalle, le roman noir de Paris » permet de mieux connaitre l’un des quartiers les plus singuliers et vénéneux de Paris, dont la réputation de fête, sexe et violence perdure aujourd’hui malgré une tendance comme dans toutes les zones chaudes de la capitale à l’embourgeoisement.

Pigalle reste pour moi la face sombre de Montmartre, artistique et charmante, celle ou on sort le soir et parfois fait des mauvaises rencontre.

A l’aide d’un important travail documentaire, Bollon explique l’évolution géographique et historique de Pigalle, détaillant minutieusement des lieux étonnants ou sulfureux aujourd’hui disparus ou remplacés par des commerces tout ce qu’il y a de plus banal.

Le plus grand plaisir est celui de contempler les vieilles photos d’époque en noir et blanc : les façades de cabarets disparus, les trombines de gangsters des années 50 portant beau à l’époque, les femmes dénudées et les transformistes…

On critiquera simplement l’introduction poussive détaillant Pigalle pratiquement rue par rue et les références souvent incomplètes comme le groupe de rock des années 90 ou la série française consacrée au quartier…

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