Histoire des Croisades (Jean Richard)

 



Attaquons nous à présent à un sujet difficile et souvent perclus de clichés, les Croisades, avec « Histoire des croisades » de l’historien Jean Richard spécialisé dans le Moyen-âge.

Sorti en 1996, cet énorme pavé relate chacune des huit croisades de l’Occident chrétien contre ce qu’il considérait comme la Terre sainte, devenu un territoire partagé entre Israël, la Palestine, la Jordanie et le Liban de nos jours.

Sur deux siècles, entre 1095 et 1291, s’étaleront huit vagues successives qui marqueront à jamais l’histoire du Moyen-âge, donnant naissance à de nombreux fantasmes et légendes entretenus au fil des siècles par les écrivains et musiciens.

A l’origine du problème on trouve cependant, les persécutions dont sont victimes les chrétiens d’orient, soumis à des humiliations, taxations, menaces et agressions par les Turcs Seldjoukides qui avaient pris possession depuis 1078 des lieux saints du christianisme au Moyen-Orient.

A l’époque existait en effet un important flux de pèlerinage issu de toute l’Europe, car le voyage notamment à Jérusalem était vu comme purificateur par les plus hautes instances de l’Église, dont le Pape.

La puissance des Seldjoukides est telle qu’elle menace également l’Empire Byzantin, seconde source chrétienne dans la monde bien qu’orthodoxe et donc rivale du catholicisme, mais surtout grande puissance militaire représentant la parfaite zone tampon en Grèce, Macédoine et sur la partie occidentale de la Turquie actuelle, avec les populations musulmanes.

La politique agressive des Seldjoukides qui fait suite à une période de tolérance de leurs prédécesseurs les Fatimides d’Egypte, pousse le pape Urbain II a lancer la première croisade, afin de libérer la Terre Sainte de Jérusalem et de porter secours à l’empereur byzantin Alexis Comnène.

L’influence spirituelle du pape est telle que des milliers d’hommes de toutes les franges de la population d’Europe répondent à l’appel.

Le pape promet l’exemption des péchés aux Croisés à conditions qu’ils respectent les populations civiles et leur offre des garanties de principe quand à la conservation de leur patrimoine laissé en métropole.

Si le pape jouit de par ses relais prédicateurs de terrain, d’une certaine autorité sur les population, l’exécution de l’ordre se fait dans le plus grand désordre avec une succession d’initiatives personnelles de moines français et allemands qui se distinguent par leur extrême brutalité à l’égard des territoires d’Europe de l’Est traversés (Allemagne, Hongrie, Yougoslavie) en pillant, tuant les populations locales avec un supplément de cruauté pour les juifs, victimes périphériques des croisades.

Même Alexis finit par se débarrasser de ses encombrants Croisés en les faisant passer le plus vite possible du coté turque ou les troupes Seldjoukides se montrent impitoyables en les massacrant systématiquement.

Il faudra attendre l’arrivée des puissants leaders issus de la noblesse franque comme Godefroy de Bouillon, Raymond IV, Baudoin, Bohémond et Tancrède pour que la Première Croisade forte de plus de 30000 hommes porte réellement la lutte contre les Seldjoukides tout en ayant été préalablement contraints de prêter allégeance à Alexis Comnène à Constantinople.

L’armée des Croisés opère une brillante percée en Turquie et conquiert les villes une à une, en s’appuyant sur la force de sa puissante cavalerie, la bravoure de ses soldats face à des tactiques turques privilégiant la feinte et l’usage de flèches pour saper et harceler l’ennemi.

Les Arméniens de Cilicie saisissent l’occasion de se libérer de leurs maitres musulmans et prêtent assistance aux Croisés.

En chemin, Baudoin et Tancrède s’arrêtent dans la ville d’Edesse et établissent le premier royaume latin d’Orient.

Le siège d’Antioche est éprouvant pour les défenseurs et les attaquants, se soldant par des rumeurs de cannibalismes de Croisés qui viendront hanter l’imaginaire musulman, mais se termine par la victoire de Bohémond sur Kerbogha le maitre de Mossoul, ce qui suite à la défection du peu combatif Alexis, fait de lui le roi de la ville.

Mais le plus grand fait d’arme de cette phase est l’œuvre de Godefroy de Bouillon qui prend Jérusalem, fait de son frère Baudouin Ier le roi de la ville et va défaire une armée fatimide à Ascalon ce qui lui permet de verrouiller l’Egypte, l’autre grande puissance militaire musulmane derrière les terribles Seldjoukides.

Les Croisés sont néanmoins stoppés dans leur invincible élan de conquête à Harran et doivent renoncer à le route de la Perse passant par Mossoul et Bagdad qui demeureront pour toujours hors d’atteinte du rêve franc.

La dernière conquête des Francs est le comté de Tripoli au Liban ou est installé Bertrand de Saint Gilles ce qui porte au nombre de quatre les royaumes latins d’Orient, véritables poches indépendantes régies par leurs propres lois en perpétuant les régimes dynastiques féodaux : Jérusalem, Antioche, Edesse et Tripoli.

Passé l’échec de l’Arrière croisade de 1100 destinée à soutenir l’effort des premiers Croisés, mais pratiquement décimée par des Seldjoukides aguerris, vient la question du maintien des royaumes francs au Moyen-Orient.

En effet, chacun de ces petits royaumes se trouve entouré de voisins musulmans plus nombreux et puissants, misant sur une stratégie d’usure pour reprendre les territoires perdus.

Pour soutenir les Croisés qui avaient choisi la voie de l’expatriation dans des terres difficiles, les papes eurent recours de nombreuses fois à la Croisade.

En 1147, en réponse à la prise du comté d’Edesse finalement reperdu par le redoutable atabeg de Mossoul Zengi, se déroule la seconde d’entre elles, sous la forme d’une coopération franco-allemande avec le roi Louis VII pour les Francs et l’empereur Conrad III pour les germains.

Les relations avec les Byzantins ne sont toujours pas au beau fixe et les deux seigneurs refusent de se soumettre à l’empereur Manuel Ier Comnène, perdant de fait tout l’appui logistique en navires et vivres qu’il aurait pu leur fournir.

En Turquie, Francs et Germains payent le prix de leur mauvaise entente et séparés sont mis aisément en déroute par les Seldjoukides qui massacrent les prisonniers masculins, réduisant femmes et enfants en esclavage.

Après avoir péniblement accompli leur pèlerinage à Jérusalem, les deux souverains quittent piteusement la Terre Sainte sans aucune victoire militaire à leur actif.

Malheureusement pour les Francs, une grande contre attaque musulmane se prépare sous l’impulsion de chef militaires charismatiques usant du djihad, la « guerre sainte » comme bannière de ralliement contre ce qu’ils estiment être des infidèles.

Nur-al-din qui reprend le comté d’Edesse puis Saladin, atabeg kurde d’Egypte ayant renversé ses maitres fatimides, se révèlent de terribles conquérants, animés par une ambition démesurée.

Saladin réussit tout d’abord diplomatiquement la ou ses prédécesseurs ont échoué et réalise une grande union avec les Seldjoukides et les Byzantins affaiblis contre les Francs qui jusqu’alors avait profité des rivalités entre leurs ennemis pour se maintenir avec l’aide des marins Vénitiens ou des princes arméniens.

Fort de ses alliances et d‘une habile trêve arrachée aux Francs, Saladin attaque les Francs lorsqu’il se sent le plus fort en s’assurant préalablement du contrôle de Mossoul.

Il prend le dessus à Hattin en 1187 sur les Francs de Guy Lusignan actuel roi de Jérusalem, courageux mais trop divisés en querelles internes pour être en mesure de résister.

Fanatique de la guerre sainte, Saladin se distingue par son caractère impitoyable qui l’amène à mettre à mort systématiquement ses ennemis, à traiter les femmes comme esclaves tout en réservant un traitement particulier aux nobles qu’il garde en captivité dans la prévision de rançons.

Après Hattin, il mène une guerre d’éradication, reprenant un à un les territoires francs dont la précieuse Jérusalem.

Écrasés par plus fort qu’eux, les Francs conservent péniblement Antioche, la ville côtière de Tyr et quelques solides forteresses comme le fameux krak des chevaliers prêt de Homs en Syrie.

La réaction de l’Occident ne tarde cependant pas et en 1189, la Troisième croisade lancée par le Pape Grégoire VIII, voit le célèbre roi anglais Richard Cœur de Lion s’affirmer après la mort accidentelle de l’empereur germanique Frédéric Ier, comme le grand chef de guerre capable de tenir tête à Saladin.

Une fois sur place, Richard appuyé par Guy Lusignan qui commande la plus grande armée de Croisés jamais mis sur pieds, remporte des victoires sur les troupes de Saladin en Palestine, et verrouille vis-à-vis de l’Egypte, les territoires conquis en prenant et fortifiant la ville clé d’Ascalon à défaut de pouvoir reprendre la mythique Jérusalem puissamment fortifié par son adversaire.

Parvenu à un semblant d’équilibre des forces avec Saladin, Richard négocie avec lui l’acceptation des Francs dans les villes côtières de Tyr, Jaffa regroupé sous le royaume d‘Acre, d’Antioche, Tripoli en plus des territoires des ordres militaires des Hospitaliers et Templiers.

Même si aux premiers abords, le succès militaire de Richard peut paraitre plus que limité, il s’agit néanmoins d’un coup d’arrêt définitif aux désirs d’éradication des Francs par le souverain musulman.

Henri VI le fils de Frédéric Ier tient cependant à poursuivre le désir de Croisade de son père et réussit avec un contingent de chevaliers germaniques à prolonger la reconquête de Richard en prenant Beyrouth et Sidon.

La mort de Saladin en 1193 aboutit au partage de son immense royaume entre ses fils et neveux qui s’entre déchirent en guerre fratricides ce qui affaiblit considérablement la menace contre les Francs.

Bien que brève, la Quatrième croisade entreprise en 1202 sous l’impulsion du Pape Innocent III, est marquée par une déviation complète du but d’origine et la prise de Constantinople sous l’impulsion de Vénitiens par les Croisés, qu’il pillent avant de nommer l’un des leurs, Baudoin de Flandres comme nouvel empereur byzantin dans le seul but de préserver les intérêts commerciaux des navires vénitiens menacés par la politique byzantine hostile à leur égard.

Ce sera de nouveau Innocent III qui sera à l’origine de la Cinquième croisade de 1217, en utilisant la même tactique que le roi de Jérusalem Amaury qui effectua en 1167 une spectaculaire percée en Egypte pour faire pression afin de négocier une rétrocession des territoires de la Terre Sainte.

Mené par le légat Pélage, les Croisés prennent d’assaut la ville fortifiée de Damiette, véritable verrou permettant de faire le lien entre Méditerranée et Nil, centre névralgique de l’Egypte.

Ils parviennent à progresser mais attaquant précipitamment le Caire en descendant le Nil, sont vaincus par le sultan local Al-Kamil qui les prend en tenaille et contraints à un repli honteux.

La Sixième Croisade est celle de l’empereur germanique Frédéric II qui malgré une excommunication du Pape Grégoire IX, part avec 10000 hommes et parvient plus par négociations que par de durs combats à récupérer une partie de Jérusalem, Bethléem et Nazareth auprès de Al-Kamil plutôt bien disposé à son égard.

Mais ses reconquêtes paraissent néanmoins bien fragiles lorsque les Kharezmiens faction divergente des Seldjoukides mise au service du nouveau sultan d’Egypte Ayyub, reprirent Jérusalem en infligeant une cinglante défaite aux Francs la défendant.

Ceci ne peut que déclencher en 1250 une nouvelle croisade, la Septième, emmenée par le charismatiques roi Louis IX dit Saint Louis, qui se montre malgré ses hautes ambitions un cuisant échec sur l’Égypte.

Pire que l’échec vient l’humiliation de la capture de Saint Louis par les Mamelouks, nouveaux maitres de l’Égypte après avoir renversé définitivement les Ayyoubides auprès desquels pourtant ses anciens esclaves affranchis étaient sensés servir.

Après la sanglante répression du mouvement des Pastoureaux, bergers convaincus de devoir de mener une Croisade de petites gens sensés être plus humbles et proches de Dieu que les chevaliers et les religieux, Saint Louis libéré consacre son énergie à fortifier les défenses de la Terre Sainte et tente de nouer des relations difficile avec la nouvelle force émergente des Mongols, invincibles guerriers gouvernés par un système complexe de Khans.

Cette recherche d’alliance avec les Mongols, jugés plus perméables à la religion chrétienne, sera la ligne directrice de l’Église catholique dans l’optique de bénéficier de l’apport de ses farouches guerriers pour prendre les dessus sur les musulmans.

L’envoi de messagers et missionnaires chrétiens jusqu’en Mongolie devait participer à la construction de cette alliance qui fut tout d’abord rejeté en bloc par les khans, qui considéraient être les maitres du monde et devoir assujettir ou détruire tous les autres peuples.

Il est vrai que les petits fils de Genghis Khan poursuivent avec ferveur son œuvre de conquête, Hulegu chef des Il-khanides emportant la Syrie musulmane et soumettant même le prince d’Antioche sans combattre.

Inquiété par cette poussée de conquêtes en apparence incontrôlable, les Papes successifs luttent contre les Mongols en Europe de l’Est en prêchant la Croisade tout en les ménageant au Moyen-Orient.

Pourtant Hulegu ne finira pas son entreprise de la conquête de l’Egypte, reculant en raison de l’épuisement des ses cavaliers et de troubles intérieurs.

Il laissera ainsi à Baibars, sultan mamelouk du Caire, la possibilité d’organiser ses troupes et sa défense pour mettre en échec ces conquérants venus de l’Extrême Orient.

Brillant chef militaire et habile homme d’état, Baibars va profiter de sa force et du reflux des Mongols pour attaquer et défaire les Francs, en prenant sur une dizaine d’années des villes stratégiques comme Jaffa, Césarée ou la fameuse forteresse krak des chevaliers.

Mais du coté Francs les quelques ouvertures faites par Hulegu aux chrétiens vont se concrétiser avec son successeur Abagha, ce qui permettra de mettre sur pied une véritable alliance et la Huitième croisade contre l’Empire des Mamelouks.

En 1270, le Pape Clément IV et son successeur Grégoire X, s’appuient sur le célèbre Saint Louis pour déclencher la Croisade outre mer avec entre 10 000 et 30 000 hommes.

La tentative d’alliance puis de prise de la Tunisie pour s’en faire un allié face à l’Égypte est un cinglant échec par manque de coordination avec le lointain allié Abgha.

Malade, comme la plupart des soldats en Egypte, Saint Louis meurt à Carthage.

Une nouvelle tentative en 1281 des Mongols de Mongke Temur en liaison avec les Francs d’Orient échoua contre les successeurs de Baibars pourtant rivaux, Qualawun et Sonqor qui eurent l’intelligence de faire front ensemble pour battre leurs adversaires à Homs.

Malgré d’incessants projets d’attaques communes entre mongols et chrétiens notamment le raid du khan Gazhan en 1302, les Mamelouks gardèrent fermement leur emprise sur la région en dépossédant dans les années 1290 un à un des Francs trop divisés et peu nombreux, de leurs royaumes.

En conclusion, derrière le récit chronologique forcément dense et épique, « Histoire des croisades » permet de mieux prendre l’ampleur d’un phénomène exceptionnel dans l’histoire de l’humanité qui mobilisa autour de la spiritualité des ressources humaines, matérielles et financières hors du commun.

Sortant des clichés un peu faciles, le travail de Jean Richard, laisse clairement apparaitre l’objectif des Croisés, qui comprirent assez vite l’impossibilité d’évangéliser les musulmans ou de conquérir de vastes étendues au Moyen-Orient.

Le véritable enjeu se situa donc autour des lieux saints et en particulier la ville de Jérusalem.

Passée la première et historique percée de Godefroi de Bouillon, les Latins d’Orient durent fermement batailler pour sauvegarder leurs acquis face aux vagues Turques, Égyptiennes, Mongoles ou même Byzantines.

Ils y parvinrent quasiment pendant deux siècles, recevant périodiquement l’apport de troupes françaises, allemandes, anglaises, italiennes ou espagnoles prêts à tout abandonner pour défendre la bannière du Christ.

Les Croisades ont donc leurs héros devenus légendaires, Godefroi, Richard Cœur de Lion, Saint Louis, Saladin, Baibars, ou même Hulegu mais à coté du mythe, se déroulèrent d’après batailles ou le vaincu était souvent mis à mort ou au mieux réduit en esclavage.

En bon historien, Richard analyse aussi la vie de Latins d’Orient, leur statut de colons, leur adaptation aux mœurs orientales avec des échanges commerciaux avec les musulmans et quelques fois un notable détachement avec les préceptes d’austérité émanant des autorités religieuses d’Occident.

La partie consacrée aux puissants ordres militaires d‘Orient, des Templiers, des Hospitaliers ou des Chevaliers Teutoniques, qui eurent d’importantes fonctions notamment financières en conservant l’argent acheminé d’Occident pour la Croisade, est particulièrement intéressante.

Difficile donc malgré une grande complexité d’approche due à la multiplicité des acteurs et la spécificité des termes employés, de ne pas considérer cet ouvrage comme d’une grande complétude et d’une grande justesse pour comprendre l’une des aventures humaines les plus exaltante qui m’ait été donné de lire.

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