Le royaume de l'insolence, l'Afghanistan 1504-2011 (Michael Barry)

 



Depuis 2001, l’Afghanistan est devenu un des pays les plus cités dans l’actualité.

Aussi me suis-je intéressé à « Le royaume de l’insolence, l’Afghanistan 1504-2011 » du spécialiste américain Michael Barry.

Sorti en 2011, cet ouvrage massif découpé en cinq parties commence par un récit très personnel de l’auteur qui en tant qui enquêtait personnellement sur un crime de guerre perpétré par les soldats soviétiques en 1982 dans la province du Logar à l’Est de l’Afghanistan.

L’exemple de Padkhwab-e Shana, petit village perché dans les montagnes, dans lequel la population réfugiée dans les sous terrains d’irrigation pour échapper aux massacres fut brulée vive illustre de manière frappante la férocité du conflit Russo-Afghan des années 1979-1989.

Car si l’histoire de l’Afghanistan jouit d’un riche passé avec la présence dans l’Antiquité de civilisations bouddhiques et grecques puis jusqu’à la fin du XX ième siècle du soufisme, la branche la plus ouverte de l’Islam, le lecteur constatera bien vite que ce pays coincé entre les super puissances russes, iraniennes et indiennes fut surtout marqué par un niveau de violence proprement hallucinant et aboutissant à un basculement progressif vers un Islam sunnite des plus intransigeants inspiré des doctrines wahhabite égyptiennes et saoudiennes.

Composés majoritairement de Pashtounes, Tadjiks puis Hazaras chiites, les Afghans sont un peuple de paysans fonctionnant en complexes structures tribales qui revendiquent une farouche résistance aux puissances étrangères colonisatrices.

Cette résistance cimentée par un nationalisme et une religiosité exacerbés en cas d‘agression extérieure, ce manifeste une première fois au XVII ième siècle lorsque plusieurs rebellions des montagnards du Yaghestan face à l’autorité du Grand Moghol indien et du Shah d’Iran provoquent des guerres qui aboutissent à la création de l’Afghanistan sur lequel règne de Ahmad Shah.

Mais le souligne Barry, à chaque fois que les tribus afghanes s’unissent pour vaincre un ennemi commun venant de l’étranger, la phase ultérieure fait apparaitre d’insolubles divisions tribales entretenus par le viril code de l’honneur pashtoun, qui encourage les sanglantes et interminables vendettas.

Puis au XIX ième siècle, ce pays contrasté très montagneux à l’Est, aride au Sud-Ouest se trouve disputé par les deux grandes puissances coloniales de l’Angleterre et de la Russie dans ce que les historiens ont appelé le Grand Jeu.

Soucieux de préserver les Indes coloniales face à l‘inquiétant expansionnisme des tsars en Ouzbékistan, les Anglais interviennent régulièrement en Afghanistan, réussissent à prendre les villes principales mais échouent à chaque fois à mettre en place un pouvoir central rapidement renversé par les terribles révoltes des tribus
qui exploitent à merveille les zones de haute montagne du Yaghestan.

Les retentissantes défaites militaires anglaises dopent le moral des combattants afghans déjà réputés pour leur férocité et leur mépris de la mort.

Seul l’habile émir Abdur Rahman Khan, fin tacticien et cruel despote, parviendra à jouer à merveille un jeu d’alliance subtile avec l’Angleterre contre la Russie pour gouverner le pays tel qu’il doit l’être, en étant reconnu comme un pouvoir central non inféodé aux étrangers fournissant assez de marge de manœuvre aux tribus locales misérables administrés en provinces par des gouverneurs locaux.

Lorsque le Russie devient l’URSS, le Grand Jeu prend une autre tournure avec en toile de fond la vision civilisatrice du communisme qui touche une certaine élite afghane.

Le roi Amanollah se rapproche de Lénine et conclue avec lui un traité en 1920 établissant une alliance militaire et économique entre les deux pays.

Mais la politique d’ouverture internationale d’Amanollah provoque une révolte tribale et l’effondrement de son régime dont profite les Anglais pour placer un homme fidèle à leur cause, le général Nader.

Resté étrangement neutre pendant la Seconde guerre mondiale, l’Afghanistan est affecté par la création du Pakistan, formé après la partition de l’Empire des Indes en 1946 et massivement soutenu par les États-Unis.

De son coté, l’URSS se place donc logiquement en faveur de l’Afghanistan en soutien de revendications des territoires pashtoun écartelés de part et d’autres de la nouvelle frontière entre les deux pays.

Cette influence soviétique pousse à l’éclosion de mouvements communistes qui se heurtent aux intégristes musulmans

En 1973, Mohamed Daoud Khan prend le pouvoir après un coup d’état et établit une dictature militaire mais est assassiné en 1978 par les communistes qui placent les fondateurs du parti communiste afghan, Nour Mohamed Taraki, Babrak Karmal, et Hafizollah Amin à la tête d’un nouveau gouvernement inféodé à l’URSS.

Ensembles les trois hommes appliquent un traitement d’un radicalisme surprenant en torturant et en massacrant tous ceux qui s’opposent aux réformes communistes.

Le soulèvement des tribus offensées par les attaques contre la pratique de l’Islam force l’Armée rouge à intervenir militairement en 1979 et opérer d’horribles massacres dans les villages rebelles.

Les Russes ont l’avantage de 1980 à 1986 établissant des forteresses dans les grandes villes et usant la résistance afghane à cours de raids exterminateurs, avant que les États-Unis et les Anglais ne fournissent aux moudjahidine des missiles sol air Stinger et Blowpipe mettant fin à leur suprématie aérienne.

Les Russes perdent alors un hélicoptère par jour et des hommes pris en embuscades par des montagnards fanatisés maitrisant à merveille les étroits défilés montagneux du Yaghestan.

En 1989, Mikhaïl Gorbatchev décide du retrait de l’Armée rouge mais les communistes afghans de l’armée de Nadjibollah au pouvoir se sachant condamnés par la justice expéditives des combattants musulmans, résisteront pendant de longues années afin de négocier le

L’effondrement de la puissance soviétique laisse la place aux Etats-Unis qui misent sur le Pakistan état habité par une culture raciale guerrière et élitiste pour contrôler ce pays jugé arriéré et ingouvernable.

Mais ils commettent une erreur stratégique majeure en fermant les yeux sur les dérives intégristes du Pakistan qui propagent un islam wahhabite d’obédience saoudienne se repliant sur une vision étriquée et rétrograde de la religion.

En Afghanistan ce mouvement est porté par Go Ba Din Herkmatyar et puise ses forces vives dans l’ethnie pasthoune fanatisée par les écoles coraniques de leurs cousins pakistanais.

Les heurts avec l’Alliance du nord dirigée par le commandant Massoud, musulman modéré fédérant les Ouzbeks, Hazaras et les Tadjiks, l’autre ethnie majeure du pays sont terribles entravent toute reconstruction du pays de 1992 à 1996, date ou le mouvement ultra radical des talibans armés par le Pakistan, prennent le pouvoir.

Barry souligne avec justesse l’aveuglement des États-Unis qui ont laissé prospéré au sein des talibans l’organisation terroriste Al Quaida dirigée par le milliardaire saoudien Oussama Ben Laden.

C’est finalement l’exportation de la violence hors du territoire afghan par l’idéologie folle et nihiliste d’Al Quaida avec l’apothéose du 11 Septembre 2001 qui força les Etats-Unis a enfin réagir pour faire chuter le régime des talibans.

Avec la mort de Massoud assassiné avant le 11 Septembre, l’Afghanistan perd donc un brillant chef de guerre et l’espoir d’une union nationale incarnée par un musulman modéré ouverts à des idées relativement progressistes.

Après le 11 Septembre, le Pakistan est soumis à la pression des États-Unis et malgré une opinion publique hostile, doit accepter de lâcher ses encombrants alliés et de prêter assistance aux troupes de l’OTAN qui débarquent en Afghanistan.

Même si les talibans furent vaincus et Oussama Ben Laden assassiné en 2011, la reconstruction de l’Afghanistan peut être aujourd’hui considérée comme un échec : en cause la ténacité de poches de résistances des talibans toujours soutenus en sous main par l’ambigu « allié » pakistanais qui pratique un double jeu embarrassant dans le but de rester maitre d’un état qu’il voit comme vassalisé, la virulence des attentats contre les pouvoirs publics ou tous les représentants des pays étrangers régulièrement pris pour cible par les terroristes et enfin l’inefficacité d’une politique de développement gangrène par la corruption endémique du gouvernement d’Hamid Karzai et des gouverneurs locaux.

Englué dans la violence et l’archaïsme, l’Afghanistan stagne et semble se replier davantage sur lui-meme après avoir découragé les États-Unis près finalement à accepter confier une partie du pouvoir aux talibans si ceux-ci se détachaient d’Al Quaida, jeu à haut risque qui aboutirait probablement à une répétition de la situation de la fin des années 90.

En conclusion, « Le royaume de l’insolence, l’Afghanistan 1504-2011 » est un ouvrage passionnant écrit par un expert de terrain capable de décrypter le mécanismes profonds d’un pays au final désespérant…

Très sombre mais en même temps réaliste dans son analyse, Michael Barry dresse le portrait d’un pays par nature fier et insoumis mais aussi profondément divisé et incapable de toute organisation collective susceptible de le faire progresser.

État tampon sous-développé et sous estimé, l’Afghanistan a été la proie de convoitises de super puissances anglaises puis russes ayant abouti à des guerres terribles, une désorganisation totale et à la poussée des mouvements les plus fascistes de tous les temps celui des talibans dont les tortures sadiques et la privation de droits des femmes constituèrent les prémices d’une menace encore plus grande : l’éclosion du terrorisme mondial que la poussée de Daesh aujourd’hui a presque fait oublier.

Tout en déplorant la dérive présente, Barry ne manque pas de souligner la responsabilité du Pakistan et des États-Unis dans le situation catastrophique actuelle.

Et on ne peut donc s’empêcher de penser qu’avec un Massoud au pouvoir les choses auraient pu être différentes…

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